Au large de la corne de l’Afrique, Socotra est un exemple unique de biodiversité qui lui a valu le nom de « Galapagos de l’Océan Indien ». Cette richesse lui a permis d’être classée Patrimoine naturel mondial par l’Unesco en 2008.

Au nord de l’île, des Boswellia sacra, arbre à encens, veillent sur le randonneur.
Au nord de l’île, des Boswellia sacra, arbre à encens, veillent sur le randonneur.

Battue au nord par les eaux du golfe d’Aden et au sud par celles de l’Océan indien, l’île du Phénix, comme la nommaient les Grecs, n’est pas facile d’accès. Des vents de force 6 à 7 génèrent une forte houle sept mois sur douze, interdisant souvent l’accostage. Longtemps accessible uniquement par la mer, Socotra est restée naturellement protégée. Un isolement qui lui confère la particularité d’avoir préservé une flore endémique, c’est-à-dire qui ne pousse qu’à cet endroit précis du globe.

Ici, les euphorbes (Euphorbia arbuscula) sont des arbres. Ils croissent aussi bien sur les hauts plateaux calcaires du nord de l’île que sur les roches granitiques du littoral.
Ici, les euphorbes (Euphorbia arbuscula) sont des arbres. Ils croissent aussi bien sur les hauts plateaux calcaires du nord de l’île que sur les roches granitiques du littoral.

Pendant des siècles, les navigateurs grecs, arabes ou indiens ont défié chaque année ses côtes rocheuses et ses vents violents pour rapporter les précieuses gommes résineuses odorantes qui ont donné son nom à l’île (Socotra, littéralement le « souk des odeurs ») et l’Aloe succotrina, que les Grecs utilisaient pour soigner les blessures de leurs soldats.

Le sang-dragon, emblème de l’île

Un sang-dragon dresse sa couronne en forme de parapluie vers le ciel.
Un sang-dragon dresse sa couronne en forme de parapluie vers le ciel.

Sur les 850 espèces de plantes répertoriées, plus d’un tiers est spécifique de l’île. C’est le cas de l’étonnant sang-dragon (Draceana cinnabari) ou dragonnier, vestige de la végétation africaine de l’ère tertiaire.

Les feuilles persistantes en forme de glaive du sang-dragon captent l’humidité des brumes qui tombent sur Socotra.
Les feuilles persistantes en forme de glaive du sang-dragon captent l’humidité des brumes qui tombent sur Socotra.

Selon la légende locale, les dragonniers de Socotra seraient nés du sang d’un dragon vaincu par un éléphant. Pour les Grecs, ce serait le sang répandu par Ladon, le dragon à cent têtes chargé de garder l’entrée du jardin des Hespérides, terrassé par Hercule lors de ses travaux, qui aurait engendré cet arbre. Sa sève, une résine qui s’oxyde et sèche à l’air libre en prenant une teinte rouge sang, a nourri le mythe… et lui valut d’être créditée de pouvoirs mystiques par les alchimistes. C’est aussi ce sang dont les luthiers de Crémone enduisaient leurs violons, qui a donné, dit-on, ce timbre si particulier aux Stradivarius.

Rompus de failles et de falaises abruptes, les massifs calcaires du nord de l’île rassemblent la plus grande collection de sang-dragon.
Rompus de failles et de falaises abruptes, les massifs calcaires du nord de l’île rassemblent la plus grande collection de sang-dragon.

Silhouettes majestueuses qui se détachent de la ligne de crête, les sang-dragon sont disséminés sur les hauts plateaux calcaires du centre. Aujourd’hui, ces arbres champignons aux doigts tendus vers les cieux souffrent de la sécheresse et sont de plus en plus menacés par les chèvres qui broutent les jeunes plants.

Des végétaux façonnés par le climat

L’ombrelle d’une euphorbe se découpe sur le wadi shifa qui abrite une piscine naturelle.
L’ombrelle d’une euphorbe se découpe sur le wadi shifa qui abrite une piscine naturelle.

En se promenant dans les wadis escarpés de l’île, on découvre un paysage fait d’aiguilles de pierre, d’éboulements de roches et de failles profondes. Au centre de l’île, le Djebel Haggier cache des bains naturels dans lesquels on peut se rafraichir.

Adénium obèse ou rose du désert et arbre à encens. Le nom de l’adénium semble issu du nom de la ville d’Aden.
Adénium obèse ou rose du désert et arbre à encens. Le nom de l’adénium semble issu du nom de la ville d’Aden.

Balayée par les vents plus de 6 mois par an, Socotra héberge des espèces au tronc lisse. Comme celui de la rose du désert (Adenium obesum) ou du fameux figuier de Socotra (Dorstenia gigas). Dominant un lagon émeraude, les dorsténias s’agrippent aux parois verticales de certaines falaises.
Dans cet environnement de roches constituées de coraux morts, prospère un catalogue d’euphorbes, d’aloès ou encore d’arbres à myrrhe.

L’étrange arbre concombre (Dendrosycyos socotrana) peut atteindre 4 m de hauteur.
L’étrange arbre concombre (Dendrosycyos socotrana) peut atteindre 4 m de hauteur.

Un peu partout, on trouve les arbres à encens (Boswellia) dont l’île possède 7 espèces. Près de la bande côtière, des mini-forêts de crotons tapissent le sol. Cette incroyable végétation fait de Socotra la quatrième île la plus importante en matière de biodiversité. Ces dernières années, des programmes de conservation ont été mis en œuvre pour sanctuariser ce jardin botanique naturel mais combien fragile.

Après avoir formé un buisson très ramifié, Euphorbia arbuscula, devient un véritable arbre en vieillissant. La plante jeune sert de fourrage aux herbivores locaux qui, lorsque l'année est sèche, peuvent brouter la plante jusqu'à la racine, d'où une raréfaction de l'espèce.
Après avoir formé un buisson très ramifié, Euphorbia arbuscula, devient un véritable arbre en vieillissant. La plante jeune sert de fourrage aux herbivores locaux qui, lorsque l’année est sèche, peuvent brouter la plante jusqu’à la racine, d’où une raréfaction de l’espèce.

Moins commun que l’arbre à encens, l’arbre à myrre fournit une résine utilisée pour son parfum et son action antispasmodique.
Moins commun que l’arbre à encens, l’arbre à myrre fournit une résine utilisée pour son parfum et son action antispasmodique.

Socotra aujourd’hui

Située à environ 350 kilomètres de la côte méridionale du Yémen, Socotra a jusqu’à présent été préservée du conflit qui sévit dans le pays. En revanche, l’île n’a pas échappé aux effets du changement climatique. En 2015, deux cyclones se sont abattus sur l’île en l’espace d’une semaine, causant de nombreux dégâts aux habitations, pour la plupart rudimentaires et construites en pierre, et la moitié de la population a été déplacée.

Débuts 2016, le président yéménite autoproclamé a envisagé de louer l’île de Socotra aux Emirats arabes unis, pour une durée de 99 ans afin d’y développer le tourisme, en récompense de leur soutien dans la lutte contre les rebelles Houthis. D’autres sources évoquent une possible mainmise sur l’île de la part des États-Unis, pour lutter contre le terrorisme au Yémen, en en faisant une base militaire. Au final, nul ne peut prédire à quoi ressemblera Socotra d’ici quelques années.

Actuellement on ne peut plus aller à Socotra. Le Yemen ne délivre plus de visa et les vols depuis Sanaa et Dubaï ont été interrompus.

Pêcheurs socotris réparant leurs filets.
Pêcheurs socotris réparant leurs filets.

Texte et photos : Brigitte Postel