Chaque été en août, le temps d’un week-end, la ville de Chinon replonge dans son passé médiéval. Troubadours, chevaliers et artisans font revivre un Moyen Âge à la fois documenté et rêvé. Plus qu’un simple divertissement, les Médiévales sont un miroir, un moment de transmission populaire. Entre forteresse et cœur de ville, entre sabots et smartphones, chronique d’une fête où l’Histoire vit encore.

Par un soleil d’août qui brille sur la pierre blonde de Touraine, Chinon ressuscite. Le Moyen-Âge y reprend ses droits, non point celui des ténèbres et des guerres sans fin, mais celui des couleurs, des cris de foires, du verbe haut et des plumes fières. Les Médiévales de Chinon ne sont pas un simple bal costumé pour amateurs d’histoire en sabots : elles sont une scène de théâtre ouverte sur 1000 ans de mémoire.
Quand Chinon revêt les couleurs du Moyen-Âge

Chinon… Il suffit d’un nom pour qu’un pan de France se redresse. C’est ici qu’Henri II Plantagenêt venait se retirer. C’est ici qu’Aliénor d’Aquitaine, sans doute la plus libre des reines, la plus troublante, régna d’un œil que même les moines n’osaient juger. Et bien sûr, Chinon est ce seuil presque mystique où Jeanne d’Arc rencontra le futur Charles VII. La France reprit foi en elle-même sur le pavé de sa cour.

Chaque été, la ville se pare de son passé comme d’un manteau brodé à la main. Les rues résonnent au pas des chevaux, les halles s’emplissent de senteurs d’hypocras (1) et de cuir, les enfants tendent leurs mains aux saltimbanques, tandis qu’un faux prieur tonne des vérités plus drôles que pieuses. C’est tout un peuple en liesse, certains costumés, qui marche vers une Histoire qu’il cherche à comprendre, à sentir.

À Chinon, le médiéval n’est pas plaqué comme un décor de carton. Il suinte des pierres, il se glisse dans les angles des maisons à colombages, il se mêle aux brumes de la Vienne. Ici, le temps n’est pas une abstraction d’historien : il est une voix, parfois un silence.
Les organisateurs, passionnés, rigoureux, parfois un peu fous, cherchent à faire juste. Il y a chez eux un désir farouche de transmettre et, chez les visiteurs, une soif d’écoute. Et cela, dans notre siècle pressé, vaut bien tous les manuscrits enluminés.
Une épopée vivante

Chinon, en ces jours de fête, ne fait pas seulement revivre le Moyen Âge. Elle le relit, le chante, le dispute parfois. Et, sous les tentes des parcheminiers, dans l’ombre des lices ou au détour d’une taverne improvisée, c’est la France qui interroge son passé, non pour s’y enfermer, mais pour s’y retrouver.
Déjà, au XIIe siècle, Chinon était une ville d’échange, de bruits et de foire, où se mêlaient langue d’oïl et d’oc, draps et épices, moines et soldats.

Les Médiévales réactivent une manifestation urbaine courue : la foire, au sens large, comme moment de suspension du quotidien, de condensation de l’histoire et de renversement symbolique des valeurs. L’Histoire ne se murmure plus dans les livres, mais s’exprime en rires, en cliquetis d’armures, en senteurs de pain chaud et d’encre fraîche. Les Médiévales de Chinon, c’est une invitation à remonter le cours du temps, à travers des ruelles encombrées de marchands, d’artisans, de troubadours et de soldats. C’est la magie des voix qui chantent et racontent, des gestes millénaires qui renaissent.
Ici, c’est une histoire vivante, vibrante, où Jeanne d’Arc peut apparaître au détour d’un chemin, où un forgeron vous confie, entre deux coups de marteau, les secrets du métal rougeoyant. On entend les pas lourds des chevaliers, on sent le poids des armures, on devine les intrigues de cour, la foi ardente des croyants. On pourrait presque croiser le roi Charles VI devenu fou dans la forêt du Mans. L’air est chargé d’un souffle qui vient de loin, de siècles qui, l’espace d’un week-end, reprennent vie. C’est une épopée populaire, où spectateurs et acteurs, deviennent gardiens d’une Histoire riche de ses ombres comme de ses lumières.
Les enfants costumés : petits gardiens d’un grand passé

Les yeux des jeunes brillent derrière des casques un peu trop grands, leurs mains serrent maladroitement des arcs de bois, et leurs rires fusent sous les coiffes colorées.
Ces petits chevaliers, damoiselles et artisans en herbe deviennent les premiers passeurs d’une mémoire vivante. Leurs gestes maladroits racontent une histoire d’apprentissage, où jouer c’est comprendre, où rire c’est apprendre à aimer l’Histoire.
Dans les ateliers de calligraphie ou de fabrication de poteries, on découvre des mains débutantes, mais déjà appliquées à recréer des gestes anciens, sous l’œil bienveillant des ainés bénévoles. Ils apprennent à tracer des lettres gothiques ou à mouler la terre avec la même patience que les artisans médiévaux.
Pour les parents, c’est un moment de fierté et d’émotion. Aux Médiévales de Chinon, les enfants costumés sont ainsi de joyeux ambassadeurs du passé, des gardiens innocents d’un patrimoine vivant.
La Forteresse royale : grand témoin de l’Histoire

Après le marché et la parade dans la ville, c’est à la forteresse royale que chevaliers, ménestrels et saltimbanques vont parader. Ici, entre murailles imposantes et ruelles chargées de secrets, se sont joués des drames de pouvoir, des rencontres décisives, notamment celle d’une jeune paysanne nommée Jeanne d’Arc qui bouleversa le destin d’un royaume tout entier.
En remontant la rue haute Saint-Maurice, on ne gravit pas seulement une pente mais des siècles. Ici la pierre calcaire vieillit comme un parchemin. Chinon, c’est une promenade dans les étages de l’histoire. Il faut d’abord choisir son entrée, car le château de Chinon n’est pas un bloc compact, mais un serpent de pierre posé sur un éperon rocheux qui se déploie sur près de 500 m.

Imaginez : l’an 1154, Henri II Plantagenêt, comte du Maine, duc d’Anjou, roi d’Angleterre, maître d’un empire qui s’étend de l’Écosse aux Pyrénées, fait de Chinon l’un de ses repères favoris. Il y reçoit ses barons, règle les affaires du royaume. Mais c’est aussi dans une modeste chambre qu’en 1189, il meurt trahi par son propre fils, Richard-Cœur-de-Lion.
Plongez dans l’univers guerrier des grandes batailles de la fin du Moyen Âge, en entrant dans la salle d’armes, vous y verrez : cottes de maille, arbalètes, reproduction d’armures…
Dans les logis royaux : les appartements de la reine Marie d’Anjou (1404-1463) sont dédiés aux collections Jeanne d’Arc, – représentations en images mais aussi statues nombreuses de Jeanne – et à la tapisserie de la Reconnaissance.
Dans la chambre d’Aliénor d’Aquitaine

Au XIIe siècle, les chambres du roi Henri II Plantagenêt et de son épouse Aliénor étaient situées dans le palais du Fort Saint-Georges, aujourd’hui détruit. Mais elles ont bénéficié d’un travail de reconstitution historique réalisé par des artisans d’art. Dans celle d’Aliénor d’Aquitaine, le mobilier raconte l’histoire : lit, coffre, siège, table ont été créés par l’ébénisterie Tancoigne à Rouillon (aujourd’hui fermée) sur la base de l’étude réalisée par Cécile Laganne, docteur en archéologie médiévale. Le décor de la soierie est composé d’animaux et de végétaux stylisés, fidèlement recréés et tissés par les ateliers des soiries Jean Roze, entreprise tourangelle du patrimoine vivant. Le décor peint inspiré du XIIe siècle, a été réalisé par les restaurateurs de l’atelier Moulinier.
La chambre intime de Charles VII, a, elle aussi, bénéficié d’un travail associant scientifiques, historiens et artisans d’art. Un lit, une chaire (fauteuil), un coffre, une table ont été récrées ainsi qu’une contre-pointe brodée d’or et un dais suspendu.

Visiter le château de Chinon, c’est traverser les pierres froides d’une forteresse médiévale, mais aussi les échos d’hommes et de femmes qui ont façonné le destin de la France. Il porte les marques d’une époque où la guerre et la foi s’entremêlaient dans un combat pour l’âme même du futur Royaume de France.
1 – L’hypocras est une ancienne boisson à base de vin, sucrée et aromatisée aux épices, notamment de la cannelle et du gingembre.
Se renseigner
Office de tourisme de Chinon https://www.azay-chinon-valdeloire.com/
Texte : Michèle Lasseur




