Sur ces terres de l’Aude où les remparts de Carcassonne gardent la mémoire des conflits contre les Cathares, la vigne déroule son histoire millénaire en filigrane. Du cœur médiéval de Carcassonne aux effervescences subtiles de Limoux, berceau oublié des bulles, jusqu’à l’intimité du Clos Teisseire, ce périple oenotouristique façonne un itinéraire où l’on ne se contente pas de déguster des vins. On découvre des vignerons amoureux de leurs vignobles, des méthodes de vinification respectueuses du fruit et des cuvées qui révèlent la diversité des terroirs audois.
Carcassonne, Cité forteresse gardienne du Midi
Mondialement célèbre pour sa Cité médiévale, classée à l’incontournable patrimoine mondial de l’UNESCO, Carcassonne offre l’un des plus spectaculaires ensembles fortifiés d’Europe dont l’histoire remonte au VIe siècle av. J.-C. avec la fondation d’un oppidum ou établissement fortifié sur une colline. Conquise par les Romains en 122 av. J.-C. qui l‘appelèrent Julia Carcaso, elle sera vite dotée d’une première enceinte gallo-romaine, munie de tours en forme de fer à cheval et de larges baies..
Après les incursions des Wisigoths et des Sarrasins, elle devient le siège de la puissante vicomté des Trencavel au XIe siècle. La Cité joue un rôle central dans la croisade contre les Albigeois (ou Cathares) au XIIIe siècle, après quoi elle passe sous le contrôle du royaume de France. Sous Louis IX (Saint Louis) et Philippe III, la Cité est considérablement agrandie et renforcée avec son double et remarquable rempart, faisant d’elle le verrou de la frontière entre la France et l’Aragon jusqu’à la signature du Traité des Pyrénées en 1659. La perte de son rôle militaire après 1659 entraîne un lent déclin. Au XIXe siècle, elle est sauvée d’une démolition totale grâce à l’intervention d’écrivains et d’historiens, et restaurée de manière magistrale par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc.
Aujourd’hui, Carcassonne est le chef-lieu du département de l’Aude, pôle culturel et touristique majeur de la région Occitanie, porte d’entrée vers les paysages et le patrimoine du pays cathare.
Limoux, berceau de l’effervescence au cœur du Languedoc
La ville de Limoux, située dans le département de l’Aude à une demi-heure de Carcassonne, est bien plus qu’une cité médiévale pittoresque. Elle est mondialement reconnue comme le berceau du premier vin effervescent de l’histoire, héritage qui a façonné son identité et sa renommée, bien avant l’avènement du Champagne. Bâtie sur les rives de l’Aude, c’est une ville d’art et d’histoire dont les origines remontent à l’Antiquité, avec l’introduction de la vigne par les Grecs au Vᵉ siècle avant J.-C.
Ce sont les vignes et l’innovation viticole qui lui ont valu sa place dans l’histoire. Elle a été un lieu stratégique dans le Languedoc, notamment pendant les guerres de religion et reste célèbre pour son Carnaval qui s’étale sur trois mois.
Le Cépage Mauzac et la naissance de la Blanquette
Au cœur du vignoble limouxin se trouve le cépage emblématique de la région : le Mauzac. C’est un cépage blanc du Sud-Ouest, dont le nom proviendrait de la couleur blanchâtre et duveteuse sous la feuille, donnant localement son nom au vin : la » Blanquette « . Il lui apporte des arômes typiques de pomme mûre et de fleurs blanches, ainsi qu’une belle acidité.
L’appellation, reconnue en 1938, se décline en deux méthodes : La Blanquette de Limoux (Méthode traditionnelle) : assemblage de Mauzac (min. 90 %) complété de Chardonnay et de Chenin. La Blanquette Méthode Ancestrale : élaborée uniquement avec du Mauzac. Sa fermentation est naturelle et non bloquée, sans adjonction de sucre : elle est mise en bouteille à la vieille lune de mars et prend mousse avec ses propres sucres résiduels. La région produit également le Crémant de Limoux (dominent le Chardonnay et le Chenin) et des vins tranquilles (rouges et blancs P Limoux), perpétuant l’excellence et la diversité de son terroir. Vous saurez tout, absolument tout sur la blanquette en visitant la Maison des vins de Limoux.
Où dormir et se restaurer à Limoux ?
Stéphane Castaing et son équipe de Tantine et Tonton ont investi ce bel hôtel-restaurant limouxin : le « Grand Hôtel Moderne et Pigeon », un nom surprenant pour cet ancien couvent du début du 16e siècle au cachet suranné. Son excellent chef et propriétaire, propose dans son restaurant Me. une cuisine créative. On apprécie la décoration élégante, le service sympathique, la situation au cœur de la ville et face au marché : une étape indispensable !
L’Abbaye de Saint-Hilaire (Aude) et l’Invention des Bulles
L’histoire de la Blanquette de Limoux est indissociable de l’Abbaye bénédictine de Saint-Hilaire, située à proximité de la ville. En 1531 des moines y auraient découvert par hasard le processus de la seconde fermentation en bouteille. Un moine constata que le vin mis en bouteille et bouché « prenait mousse ». Cette date fait de la Blanquette de Limoux le vin effervescent le plus ancien du monde, plus d’un siècle avant que la méthode ne soit popularisée en Champagne. Des écrits datant de 1544 mentionnent d’ailleurs déjà ce vin. Les origines de l’abbaye restent incertaines, malgré des documents attestant de son existence en 825. La tradition la relie à un oratoire bâti par Saint-Hilaire, premier évêque de Carcassonne, au VIᵉ siècle, qui y aurait été enseveli. Elle a connu des périodes de reconstruction et de prospérité, notamment aux XIIIᵉ et XIVᵉ siècles, a souffert des troubles de la Peste Noire, conséquences de la guerre de Cent Ans et du passage sous le régime de la « Commende » au XVIᵉ siècle, laquelle a entraîné un déclin financier et spirituel. Les bâtiments conventuels furent vendus comme biens nationaux à la fin du XVIIIᵉ siècle.
L’architecture de l’abbaye de Saint-Hilaire témoigne de l’évolution des styles roman et gothique. L’église Abbatiale a été construite au XIIIᵉ siècle en style gothique et conserve de l’église primitive l’abside et deux petites absidioles romanes, la nef est constituée de trois travées voûtées d’ogives. Le cloître du XIVᵉ siècle est formé d’arcades continues et les chapiteaux jumeaux présentent une grande variété d’ornements sculptés. Une prison, bâtie avec le rempart au XIVᵉ siècle, et une tour de garde attestent de son aspect fortifié et donc de son rôle défensif. Le réfectoire des moines est connu pour sa chaire voûtée d’une croisée d’ogives du XIVᵉ siècle, conçue pour un effet acoustique unique où seule la voix du moine prêcheur attestait de sa présence.
Le Sarcophage de Saint Sernin, œuvre exceptionnelle attribuée au mystérieux Maître de Cabestany, sculpteur roman du XIIᵉ siècle, raconte la vie de l’évangélisateur Saint Sernin. Les sculptures du maître ont toutes des visages triangulaires, des fronts bas, des mentons écrasés, des oreilles hautes et creusées, des yeux étirés en amande… Au total, 121 pièces sculptées lui sont attribuées à travers l’Europe.
Le plafond peint à solives du logis abbatial datant de la fin du XVᵉ siècle, est remarquable par le contraste entre la fonction ecclésiastique de l’abbé et l’iconographie profane voire transgressive qu’il déploie.
Des figures étranges, nées de l’imaginaire médiéval et de l’iconographie populaire, comme des hybrides, sirènes, centaures, ou licornes et autres créatures métamorphiques, souvent inspirées d’un « songe coloré d’étrangeté et d’ironie ». Ces images, dont certaines pour le moins osées, contrastent avec la Règle de Saint Benoît, qui prônait austérité et travail monastique. Sans doute est-ce là un rappel de la dualité humaine et du risque permanent du péché induit par la tentation…
Abbaye de Saint-Hilaire
Rampe de l’église
11250 Saint-Hilaire
+33 4 68 69 62 76
Clos Teisseire, le pari audacieux de Laetitia Teisseire
Perché sur les coteaux de la Haute Vallée de l’Aude, entre Carcassonne et Limoux, avec une vue imprenable sur la chaîne des Pyrénées, le Clos Teisseire pourrait seul incarner ce renouveau viticole languedocien. Longtemps fournisseur de la cave coopérative, ce domaine familial, dont les racines remontent au XVIIIe siècle, a connu une révolution en 2016 avec la reconversion de Laetitia Teisseire.
Laetitia Teisseire est alors revenue sur les bancs de l’école pour maîtriser son nouveau métier, avec le désir d’élaborer son propre vin, de la vigne à la bouteille et à son étiquette. Situé à environ 250 mètres d’altitude, le vignoble de 12 hectares jouit d’un terroir argilo-calcaire et d’un climat frais, influencé par la proximité des Pyrénées, positionnement idéal pour produire des vins blancs (Chardonnay, Chenin, Mauzac) marqués par la fraîcheur et la minéralité, des caractéristiques recherchées.
Laetitia Teisseire a introduit une philosophie d’excellence : culture raisonnée des vignes, avec un souci constant du respect de l’environnement, vendanges 100 % manuelles en caissettes, une pratique exigeante qui garantit l’intégrité du raisin jusqu’au chai, mise en bouteille à la propriété (dès 2016) pour maîtriser l’intégralité du processus de production.
Le domaine propose des cuvées remarquées, notamment son assemblage Chardonnay-Chenin nommé « Vue sur Ciel » – un clin d’œil à l’environnement exceptionnel du Clos – et des vins rouges (Pinot Noir, Syrah) qui expriment l’élégance des vins d’altitude.
Clos TEISSEIRE
Chemin du moulin
11250 ROUFFIAC-D’AUDE.
Texte et Photos (hors mention) : Sylvain Grandadam
Remerciements
Ce reportage a été effectué avec l’aide du Conseil Interprofessionnel des Vins du Languedoc (CIVL) et de l’Agence Clair de Lune.
