Il est des villes que l’histoire traverse comme une cavalcade, sabre au clair ; d’autres que le destin caresse comme on tourne les pages d’un roman. Pau est de celles-là, et il faut imaginer Jean-Baptiste Bernadotte, futur roi de Suède, levant les yeux vers les cimes pyrénéennes, sans deviner que bientôt, ces mêmes montagnes séduiraient une autre monarchie : celle, étonnamment, des Anglais victoriens.

La période anglaise de Pau est à situer dans la conquête douce : celle du climat, de la lumière, du confort et de la cure. Au XIXe siècle, alors que l’Europe tousse dans la suie des révolutions industrielles, un médecin écossais – Alexander Taylor (1), un nom que l’on croirait sorti d’un roman de Walter Scott – découvre dans cette ville gasconne un air que les poitrinaires respirent comme une promesse.
Pau, un exil climatique de l’aristocratie britannique

Le miracle commence là : Pau devient un sanatorium naturel, un balcon sur les Pyrénées pour l’aristocratie britannique, lasse des brumes londoniennes et avide d’exotisme mesuré. On vient s’y promener, s’y refaire une santé, y écrire des lettres longues et humides de spleen, entre deux parties de cricket. Car oui, Pau voit naître le premier terrain de golf du continent et même une piste de courses, des clubs, des salons. C’est la colonie anglaise sans empire, un empire d’élégance plutôt que de canonnières.

Des exilés volontaires, figures de roman feutré : des lords et ladies venus s’installer à l’hôtel Gassion, s’offrant des petits matins de brume et de thé noir sur les balcons face au pic du Midi d’Ossau. La ville se transforme : le Boulevard des Pyrénées, les villas à bow-windows, les jardins à l’anglaise – tout un pan de Pau anglicisé, mais sans que la ville perde son âme béarnaise.
Comment décrire ce croisement entre deux mondes, entre l’Angleterre de la Reine Victoria et le Béarn de Marguerite de Navarre. Ce fut une rencontre singulière : un empire qui ne cherche pas à dominer, mais à se fondre dans la douceur d’un paysage, à écouter le murmure du Gave plutôt qu’à imposer celui de la City.
Et puis la Première Guerre mondiale disperse la colonie anglaise. La Seconde efface en grande partie les traces de cette aristocratie climatique. Mais le souvenir demeure, incrusté dans la pierre des villas et dans les usages du boulevard, où certains soirs, on croit entendre un accent d’Oxford.
Le Cercle Anglais : un club feutré au cœur de Pau
Il faut imaginer, dans une ville comme Pau – fière de son Histoire, mais longtemps endormie dans son passé royal et provincial – l’irruption tranquille mais déterminée d’une bourgeoisie britannique qui n’avait rien de conquérante, mais tout d’une colonie de plaisance.
Le Cercle Anglais, dans cette dynamique, n’était pas un lieu d’exclusion : c’était un refuge. Une enclave pour gentlemen en exil climatique, un sanctuaire de bois ciré et de porcelaine fine, où l’on parlait de Derbyshire et de cricket entre deux parties de bridge, tout en gardant un œil affectueux sur la neige des Pyrénées. À Pau, il n’y avait pas de drapeau anglais planté : mais il y avait ce club, comme un territoire mental.

La villa qui appartenait à la famille Schlumberger, industriels alsaciens, fut vendue en 1893 aux Cooper Lawrance, originaires de New York, dont un membre, Francis Cooper Lawrance, devint président du Cercle anglais de Pau. La villa passa ensuite à sa fille Lady Vernon. Puis, sera vendue en 1940 à la ville.
Situé dans la villa Lawrance au cœur du Parc éponyme, ce Cercle, dont l’origine remonte à 1828, n’était pas sans rappeler les cercles londoniens de Pall Mall : lieux de lecture, de jeux, de conversations feutrées, où l’on débattait davantage de la dernière édition du Times que des soubresauts de la République française. Longtemps rythmé par les grandes manifestations équestres de la colonie anglo-américaine, ce cercle était un royaume du silence bien élevé, où les commis servaient le thé à cinq heures, où les cheminées flambaient même en hiver béarnais, et où les femmes, d’abord absentes puis admises à certaines heures, venaient ajouter au décor une touche de soie pâle et de retenue.
Avec comme dans les films, des second rôles magnifiques : le colonel retraité des Indes, le jeune étudiant venu pour l’air pur et resté pour l’amour d’une Béarnaise, ou encore la veuve d’un pasteur anglican qui lisait Walter Scott en châle écossais sur la terrasse du Cercle.
Mais derrière la façade paisible, on devine le froissement discret de l’Histoire : car dans les salons du Cercle, on suivait les événements du monde. La guerre des Boers, les discours de Gladstone, l’entrée en scène de l’aviation. Pau avait un aérodrome – l’un des premiers d’Europe – et certains membres du Cercle, lunettes rondes sur le nez et cheveux grisonnants, allaient voir ces drôles d’engins voler depuis les coteaux de Lescar.
Et puis vint l’érosion douce, comme dans tout roman de l’Empire. Le XXe siècle fit son œuvre. Les familles anglaises partirent ou se fondirent dans le paysage local. Le Cercle s’endormit, sans disparaître. On y entre encore aujourd’hui comme dans un livre de Joseph Conrad laissé ouvert à la dernière page : l’argenterie est polie, les fauteuils profonds, et le silence raconte mieux l’Histoire que les archives.
Les villas anglaises de Pau : un rêve d’exil et d’éternité

Sur le flanc des collines qui dominent Pau, entre les ombres dansantes des platanes le long du boulevard des Pyrénées, s’élèvent des demeures aux façades blanches, aux bow-windows délicatement ouvragés, aux jardins soigneusement taillés et au nom anglais : The Cedars, Rosewood, Glenmore…
Ce sont les villas anglaises, sanctuaires de l’exil volontaire, refuges de la quête d’une quiétude perdue.
À y regarder de plus près, ces maisons ne sont pas seulement des bâtisses. Elles sont des fragments d’une Angleterre transplantée, portées par des âmes qui ont cherché dans ces murs le calme d’un automne éternel. Ici, le temps semble suspendu, figé dans une lumière douce qui tombe sur des étagères chargées de livres en cuir.

Les propriétaires de ces villas étaient des personnages presque hors du temps : veuves élégantes, officiers à la retraite, poètes oubliés ou industriels fuyant le tumulte de Londres ou d’Édimbourg. Ils y trouvaient une double consolation : la santé de leurs corps et la paix de leurs esprits.
Parfois, à la tombée du jour, quand le vent léger agite les feuilles et fait bruisser les volets, on peut presque entendre le murmure des conversations interrompues, des rêves inachevés, des espoirs discrets. Ces villas ne sont pas seulement des pierres et du bois : elles sont les gardiennes d’un temps révolu.

Au 19e siècle, la création du quartier anglais de Trespoey (du béarnais, « trois puys ») voit une centaine de villas sortir de terre. Citons en quelques unes : villa Ridgway, villa Sainte-Hélène, Palais Sorrento, villa Nitot, villa Beit Rahat, villa Saint Basil’s, villa Malmaison, villa Navarre…. (devenu un hôtel de luxe, « l’hôtel Villa-Navarre » cinq étoiles avec un parc de 2 ha).
Un écrin de sérénité au cœur de Pau : le Parc Baumont

À peine franchi le portail en fer forgé, l’agitation urbaine s’efface, remplacée par un chant d’oiseaux, le bruissement des feuilles et le souffle léger d’une brise parfumée.
Les allées sinueuses invitent à la déambulation lente, chaque pas réveillant une palette de couleurs : les verts profonds des grands chênes, les rouges flamboyants des érables, les éclats jaunes des massifs de dahlias. Des bancs de bois, patinés par les années, offrent leurs repos à ceux qui souhaitent s’asseoir, s’abandonner au spectacle de la nature.
Au cœur du parc, une grande pelouse s’ouvre, accueillant les familles, les couples, les enfants courant en éclats de rire. Plus loin, le kiosque à musique, vestige d’un autre temps, attend patiemment le retour des mélodies, tandis que les statues dispersées parmi les bosquets semblent veiller en silence sur ce sanctuaire.

Parfois, on croise un jogger, une vieille dame promenant son chien, ou un groupe d’amis installés sous un tilleul, partageant des instants de complicité.
Le parc Baumont est plus qu’un simple espace vert : c’est un refuge pour l’âme, un lieu où les habitants de Pau viennent chercher un souffle, un moment d’évasion, une pause dans le rythme effréné de la vie. Ici, la ville respire à son rythme, tranquille, paisible, sous le regard bienveillant des Pyrénées au loin.
1 – Le Dr Alexander Taylor publie en 1842 un traité vantant les mérites de son climat : De l’influence curative du climat de Pau et des eaux minérales des Pyrénées sur les maladies.
Cercle Anglais : Association française ayant la forme d’un club privé dont l’origine remonte à 1828.
Siège : villa Lawrance, propriété de la ville de Pau.
70 membres en 2021
68 Rue Montpensier, 64000 Pau
Téléphone : 05 59 14 93 88
Avec l’aimable contribution d’Erik de Salettes, Président d’honneur du Cercle anglais et Servane Giraud, intendante.
Les villas de villégiature Pour découvrir les superbes villas à l’heure où la ville de Pau était (presque) anglaise…
Office de Tourisme de Pau
Place Royale
64000 Pau
05 59 27 27 08
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Pau ville anglaise, a été publié pour la première fois en 1979. Cet ouvrage de référence, devenu introuvable, a été réédité et actualisé par son auteur, Pierre Tucoo-Chala, historien, Professeur à l’université de Pau et des pays de l’Adour. Spécialiste du Moyen – Age et de Gaston Fébus, il s’est intéressé à l’histoire de la colonie anglaise de Pau.
Texte : Michèle Lasseur



