Il est des lieux que l’on ne traverse pas. On y séjourne, on s’y attarde, on y revient. Salies-de-Béarn, enserrée dans un méandre de la Saleys, en est un. Cette petite cité béarnaise, dont le nom semble suinter le sel, vous accueille avec cette manière douce et patiente qu’ont les villes qui n’ont plus rien à prouver.

En arrivant, un sentiment de calme enraciné vous saisit, comme si les siècles ici s’étaient mis à marcher plus lentement, à l’allure d’un pas de pèlerin ou d’un promeneur lettré. La lumière joue sur les façades à colombages, le murmure des eaux salées semble lire à voix basse des chroniques oubliées, et les thermes néo-mauresques veillent comme des sultans discrets sur la cure des corps et des âmes.

Ici, point de vacarme moderne, mais des échos de voix, celle d’Henri IV peut-être, en route vers la Navarre. Salies, c’est un peu une fontaine d’Histoire, salée bien sûr, mais aussi tiède et profonde.
La crypte du Bayaà

Situé sous la place principale de Salies-de-Béarn, cet ancien lieu de puisage en plein air a été recouvert d’une voute au 19ème siècle. L’évacuation de l’eau salée et d’importants travaux ont permis de rendre la crypte accessible aux visites. Les jeux de lumière mettent en valeur une construction remarquable. C’est aussi l’occasion d’évoquer l’histoire liée à l’exploitation de l’eau salée depuis plus de 3000 ans.
© OT Béarn de Gaves
Un vieux monsieur sous les arcades de la place du Bayaà — mot que seul un Béarnais sait prononcer avec le fond du cœur — m’a parlé des Jours de Sel, de la Confrérie des Culs Blancs, gardiens à leur façon d’un trésor plus vieux que la Gascogne elle-même. J’y ai vu une République minuscule, fidèle à ses lois ancestrales, où le sel n’est pas seulement une denrée mais une identité.
Les ruelles étroites mènent toujours à la rivière, comme si tout ici convergeait vers ce filet d’eau qui fut jadis or blanc. Salies est née d’un miracle géologique, mais elle a grandi d’un pacte humain. Et dans ce paysage tranquille, j’ai découvert à Salies, le goût du sel et le parfum du silence.
Le Sanglier et le Sel : une parabole de terroir

On dit souvent que les grandes découvertes naissent d’un hasard. À Salies-de-Béarn, la fortune est venue… d’un sanglier blessé à la chasse.
La scène se déroule quelque part au Moyen-Âge, mais le lieu est déjà empreint de cette alchimie terrestre qui fait bouillonner sous terre une richesse ignorée des hommes. Des chasseurs traquent un sanglier dans la forêt voisine. La bête est atteinte, s’effondre non loin de ce qui n’était alors qu’un marécage sans gloire, et ses poursuivants la retrouvent au bout de quelques jours — son corps déjà recouvert de cristaux blancs et en partie conservé.
Miracle ! Ou plutôt, chimie naturelle. La boue dans laquelle le sanglier a expiré contenait du sel. Et ce sel, à la fois antiseptique et sacré, avait préservé les chairs de la bête. Là où d’ordinaire la putréfaction aurait fait son œuvre, le temps semblait suspendu.
Ce sanglier, animal gisant allait devenir fondateur. À la façon de la louve de Remus et Romulus, le sanglier de Salies n’était pas une simple proie : il fut presque un miracle.
Les hommes, intrigués, explorèrent ces terres marécageuses et découvrirent les sources salées souterraines. De là naquit Salies, du mot « salis », le sel, l’or blanc d’avant le sucre. La ville s’édifia non loin de là, avec pour cœur battant une saline qui allait nourrir l’économie, la politique, la gastronomie, et même les institutions locales.

Nichée dans un angle de la place du Bayaà de Salies-de-Béarn, la Fontaine du sanglier date de 1927. Cette fontaine à la sculpture de tête de sanglier est devenue l’emblème de la cité. Et comme les peuples sages savent reconnaître ce qu’ils doivent aux dieux ou aux bêtes, les Salisiens immortalisèrent le sanglier sur leur blason : un suidé, fier et hérissé, encadré de la devise béarnaise :
« Si you nou eri mourt, arres n’béyé quéu aü » (« Si je n’étais pas mort, personne ne vivrait ici. »).
Phrase simple, mais d’une force antique, presque biblique.
© OT Béarn de Gaves
Dans cette anecdote, un sage aurait vu plus qu’un conte : une métaphore. Salies-de-Béarn s’est ainsi fondée sur un acte de chasse et aussi sur un respect du miracle naturel, sur une économie du sel partagée entre familles, consignée par des confréries et perpétuée dans les rites.
Et dans les rues de Salies aujourd’hui, entre deux maisons à colombages, il arrive qu’on croise un petit sanglier sculpté sur un mur, un banc ou une fontaine. Comme une reconnaissance.
Les Parts-Prenants : les notaires du sel et de la mémoire : Une légende salée

S’il est vrai, comme l’écrivait l’historien Fernand Braudel (1902-1985) qui s’est penché sur la France rurale, que chaque village du Sud porte encore en lui une organisation politique millénaire, alors Salies-de-Béarn est une petite république du sel, et sa Confrérie des Parts-Prenants, un Sénat des eaux profondes.
Le sel ici n’est pas qu’un condiment : il est une fondation, une constitution, un bien commun. Depuis le miracle du sanglier — ce cadavre sanctifié par la boue salée — la ville a su bâtir son ordre autour de cette richesse souterraine. Mais à la différence des fortunes individuelles ou féodales, le sel de Salies fut très tôt l’affaire de tous.

C’est là qu’interviennent les Parts-Prenants. Nés dès le XIIIe siècle, ces membres héréditaires forment une communauté de propriétaires indivis du gisement de sel. Une communauté fermée mais stable, transmise de génération en génération, de sang ou de nom. Le mot d’ordre : indivision, solidarité, continuité. Chaque part est transmise, non vendue, dans une logique presque féodale, mais sans seigneur. Car à Salies, c’est le sel qui règne.

Le Musée du Sel, bâtisse discrète mais solennelle, abrite leurs archives, leurs décisions, leurs secrets — comme un petit Vatican laïc où on administre le trésor souterrain. Tout ici est codifié : qui peut être Part-Prenant, comment les dividendes sont répartis, à quel rythme les fontaines versent leurs larmes salées.
Et comme toute communauté ancienne, la confrérie a ses rites. Chaque année, lors de la Fête du Sel, ils défilent en costume traditionnel, vêtus de blanc (d’où le surnom de « Culs Blancs »), ceinturés de rouge, la main posée parfois sur une canne symbolique ou un document jauni par le temps.

Là où d’autres villes fêtent leur saint patron, Salies honore son sel — et ses gardiens. C’est une procession laïque, certes, mais à la ferveur quasi religieuse. On sent, en voyant passer les Parts-Prenants, une forme d’attachement plus fort que la loi : un lien de chair et de terre, de mémoire et de matière.
On pourrait voir dans cette institution un miracle de longévité républicaine : un modèle d’économie partagée, où la richesse n’est ni spéculée ni dilapidée, mais protégée comme un bien commun sacré, à la manière des eaux d’une oasis.
Et à l’heure où le monde bruisse d’individualisme, Salies garde son bien à l’abri, dans une forme de fidélité douce et opiniâtre. Car comme le dit la devise fièrement inscrite au cœur de la ville : » Qui a le sel, a la vie « . Et à Salies-de-Béarn, ce sont les Parts-Prenants qui en assurent la garde.
Les bienfaits d’un séjour relaxant et salé

Salies-de-Béarn est aussi une ville d’eau. Mais ce n’est pas de l’eau qu’on boit. C’est une eau qui pique, une eau qui mord. Elle sort du sol chargée de sel et elle en a le caractère : brutale, conservatrice, tenace.
Ici, les gens ne viennent pas pour le paysage, même s’il est beau, ni pour le soleil, même s’il s’y montre généreux. Non, ils viennent pour se soigner. Voilà ce que dit la brochure. Mais j’ai voulu savoir ce que l’on soigne vraiment à Salies. Les propriétés thérapeutiques de l’eau thermale de Salies-de-Béarn sont avérées dans le traitement de nombreuses pathologies, notamment pour l’endométriose, les troubles de la ménopause, les douleurs rhumatismales et les problèmes d’énurésie chez l’enfant.
La première chose que je remarque, ce sont les silences. Aux thermes, on parle peu. On se trempe, on se fait masser, on sue. Le personnel est doux, presque religieux. Une infirmière m’a dit : » On soigne les douleurs, mais pas toutes « .
Je me suis assise sur un banc, près des jets salins. Une femme, la quarantaine, lisait une revue sans tourner une page. Un homme, ventre haut, cheveux plaqués, discutait sans écouter. J’ai fini par comprendre : la douleur est une façade. Les curistes arrivent avec des maux de dos, repartent avec le teint clair, parfois le cœur allégé. Ce n’est pas un hôpital, c’est une escale.

Dans les couloirs des bains, les portes claquent doucement. Et sous les peignoirs, parfois trop blancs, on sent les cicatrices d’autres douleurs : solitude, regrets, petits échecs ordinaires. J’ai rencontré un médecin. Il m’a parlé de sodium, de calcium, de pressions osmotiques. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de ses patients. Il a souri : “ Ce sont des gens comme les autres. Mais ici, ils ont le droit de s’avouer fatigués ”.
Alors, j’ai compris. Salies-de-Béarn n’est pas une station thermale. C’est un confessionnal laïc pour les âmes fatiguées. On y vient courbé, on y repart parfois plus droit. Est-ce l’eau qui fait cela ? Un psychanalyste aurait dit : » J’ai vu dans la vapeur des thermes ce que la France garde en silence : des gens qui n’ont plus mal, mais qui ont besoin qu’on les touche. «
Et moi, je vous le dis : à Salies, on ne guérit pas toujours. Mais on se repose vraiment.

Office de Tourisme de Salies-de-Béarn
8 bis Pl. du Bayaà
64270 Salies-de-Béarn
https://www.tourisme-bearn-gaves.com
Société d’exploitation des salines de Salies-de-Béarn
Avenue des Salines – Quartier Herre
64270 Salies-de-Béarn
05 59 65 62 29
Texte : Michèle Lasseur




