Orthez, ancienne capitale du Béarn, située entre Pau et Bayonne, ne se révèle pas d’emblée au visiteur pressé. Partez sur les traces de son passé pour une robinsonnade estivale avec des concerts au château Moncade.

Le Pont Vieux, qui enjambe le gave de Pau, est le premier arrêt. Cette construction médiévale, longue de 400 mètres, fut longtemps une artère vitale entre le nord et le sud des Pyrénées. On imagine aisément les pèlerins sur le Chemin de Compostelle, les marchands et les soldats qui l’ont traversée, à l’ombre de ses arches robustes, sous le regard vigilant des gardiens.

Non loin de là, la Tour Moncade s’élève fièrement, vestige d’une époque où Orthez fut capitale du Béarn. Ce donjon imposant rappelle l’autorité du comte de Foix-Béarn, Gaston III dit Fébus (1343-1391), ce seigneur fin stratège et poète, dont la renommée dépasse largement les frontières de sa principauté. Son surnom, avec en écho son cri de guerre : » Febus aban » (« Fébus en avant »), et ses devises » Febus me fe » et » Toquey si goses « (« Touches-y si tu oses ») retentit encore comme un magnifique défi. Sous son règne, au XIVe siècle, Orthez connut la prospérité, un rayonnement politique et culturel que la ville porte encore dans ses pierres.
La place Royale, aujourd’hui discrète, a vu plus tard se croiser les figures emblématiques de Jeanne d’Albret, la « Reine Jeanne » (1528-1572), qui sut faire d’Orthez un bastion de la Réforme protestante. Née le 16 novembre 1528 au château de Saint-Germain-en-Laye, morte le 9 juin 1572 à Paris, Jeanne est reine de Navarre de 1555 à sa mort, sous le nom de Jeanne III. Elle a joué un rôle crucial dans la configuration religieuse et politique du Béarn. Au début des guerres de religion, elle se sépare de son époux Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, qui a rejoint le camp catholique, et implante durablement le calvinisme sur ses terres, un choix qui façonna l’identité locale.
Musée Jeanne d’Albret, mère d’Henri IV

Niché dans un ancien logis Renaissance construit aux XVe siècle et XVIe siècle, le musée Jeanne d’Albret est dédié au protestantisme béarnais et évoque l’engagement courageux des protestants face aux persécutions. Ses collections retracent 400 ans d’histoire du Béarn, des origines de la Réforme jusqu’au 20e siècle. Cette demeure se distingue par son remarquable escalier en vis inscrit dans une tourelle octogonale reliant les deux corps de bâtiment qui constituent la maison. Le musée présente le fonds documentaire réuni depuis 1987 par le Centre d’étude du protestantisme béarnais.
© Michèle Lasseur
En flânant dans les rues étroites, on voit des façades aux volets clos, des inscriptions à moitié effacées, des clochers qui rythment la journée. La promenade s’achève au bord du Gave, là où l’eau coule sans hâte, comme le temps qui s’écoule.
La Tour Moncade et Gaston Fébus, gardiens d’un Béarn glorieux

Ce donjon massif, construit au XIVe siècle, est l’un des derniers vestiges d’un château fort qui fut autrefois le siège du pouvoir béarnais. Sa silhouette carrée, aux murs épais percés de meurtrières étroites, incarne à la fois la puissance défensive et la souveraineté politique.
Gaston Fébus, un des personnages les plus fascinants du Moyen-Âge.

Fébus, (en grec ancien, Φοῖβος / Phoíbos est le nom d’Apollon et veut dire » brillant » ), naquit à la veille de la guerre de 100 ans. Mais en cette année 1331, personne ne pouvait imaginer que ce prince allait faire des Pyrénées une des régions les plus paisibles et les plus riches de ces temps troublés. Homme d’armes et de lettres, stratège avisé et mécène éclairé, Fébus fut à la fois guerrier et poète, un seigneur à l’intelligence vive dont la légende s’est répandue bien au-delà des Pyrénées.
Fébus, dont la renommée provient aussi bien de ses campagnes militaires que de son Livre de la Chasse, un traité de vénerie qui reste un chef-d’œuvre de la littérature médiévale, sut faire de sa capitale un lieu où l’art, la diplomatie et le pouvoir s’entremêlaient.
© Michèle Lasseur
Sous son règne, de 1343 à 1391, Orthez devint la capitale d’un petit État quasi indépendant, où se mêlaient la rigueur militaire et l’épanouissement culturel. Des créneaux de la Tour Moncade, alors cœur de la forteresse, on pouvait surveiller la vallée du Gave, vigie contre les invasions et sentinelle de la paix intérieure. Orthez, par la Tour Moncade, devint alors un foyer de rayonnement dans une époque troublée, un bastion de civilisation sur la frontière pyrénéenne.
La Tour Moncade est ouverte aux visiteurs, mais son silence demeure chargé d’histoire. Du haut de ses murailles, le paysage est à la fois modeste et grandiose : les toits rouges de la ville sont encadrés par les collines ondulantes du Béarn.

Dans ce lieu suspendu entre ciel et terre, on mesure combien Orthez fut la pièce maîtresse d’un échiquier médiéval complexe, à une époque où le roi de France ne régnait que sur un petit royaume autour de Paris. La Tour Moncade reste le symbole d’un pouvoir fragile et tenace, d’une histoire locale qui fascine autant que celle des Plantagenêts en Aquitaine.
Visite intérieure de la Tour Moncade, à Orthez

En franchissant l’entrée basse et austère de la Tour Moncade, le visiteur est immédiatement saisi par la fraîcheur de la pierre. L’escalier en colimaçon, taillé dans la masse du mur, invite à une ascension lente. Chaque marche usée porte les traces du passage d’innombrables pieds, soldats, seigneurs ou simples serviteurs. On se surprend à imaginer les pas résonnant dans ce tunnel de pierre, la lueur vacillante d’une torche projetant des ombres mouvantes.
À mi-hauteur, une petite ouverture — une meurtrière — laisse filtrer un filet de lumière vive. Par ce trou étroit, les archers observaient la vallée, prêts à défendre la forteresse contre toute intrusion.
Arrivé au premier étage, la salle voûtée ou salle des Gardes s’ouvre sur un espace où se tenaient les conseils féodaux. La pierre brute des murs est marquée par le temps, tandis que les petites niches en alcôve auraient servi à entreposer des parchemins ou des objets précieux. On sent ici la présence discrète mais constante du pouvoir, une autorité qui structurait la vie de la cité.

Plus haut, la salle principale est celle où Gaston Fébus lui-même aurait accueilli ses visiteurs, hommes d’Église, ambassadeurs ou chevaliers. On peut presque entendre le froissement des lourds manteaux, le cliquetis des épées posées avec respect. Une cheminée monumentale, aujourd’hui vide, rappelle les feux qui réchauffaient les hivers béarnais. Enfin, la terrasse offre un panorama saisissant : le Gave de Pau serpente au loin, bordé de collines douces, sous un vaste ciel. Le vent joue dans les créneaux. Sur ce balcon du Moyen-Âge, on comprend mieux le rôle stratégique et symbolique de la Tour Moncade.
Le métier à tisser, cœur battant de la maison de tissage Moutet

À Orthez, il est une maison dont les murs centenaires, ne résonnent pas des échos guerriers ou théologiques, mais d’un autre genre de bataille : celle du savoir-faire artisanal, du goût du beau, de la fidélité à un geste transmis. Depuis 1874, la manufacture Moutet tisse plus que du linge : elle tisse une part de l’identité béarnaise.
Dans cette entreprise familiale, le lin, le coton, le métis ne sont pas de simples matières premières : ils sont la matière même d’une mémoire. Jean-Baptiste Moutet rachète en 1874 la boutique « Au coin de la rue » à Orthez. Son fils Georges se spécialise dans le linge de table. À une époque récente où l’industrie textile française s’essoufflait face à la mondialisation, la maison Moutet, elle, a choisi la voie étroite mais droite de la qualité, de la création, de la fidélité aux métiers Jacquard.
Ces métiers, imposants, bruyants, presque vivants, perpétuent des gestes presque oubliés. Ici, chaque motif a son langage, chaque fil sa fonction. Les motifs traditionnels du Sud-Ouest – espadrilles, piments d’Espelette, scènes de marchés – cohabitent avec des créations contemporaines, souvent issues de collaborations avec des artistes. Ce dialogue entre passé et présent, entre utilité domestique et exigence esthétique, est au cœur de l’esprit Moutet.
Dans l’atelier, le temps semble suspendu. On y entre comme dans un cloître du travail bien fait. Il y a quelque chose de monacal dans la régularité du battement des métiers, dans l’attention portée aux défauts minuscules, dans la répétition du geste. Et pourtant, l’audace ne manque pas : la maison a su s’ouvrir à l’international, fournir les grandes maisons, les musées, sans jamais renier ses origines orthéziennes.
Il y a là une forme de résistance, douce mais déterminée, qui ferait sourire Gaston Fébus ou Jeanne d’Albret : celle d’un artisanat qui n’a jamais voulu mourir, même quand tout l’y poussait. Les Tissus Moutet ne sont pas un simple commerce, mais une archive vivante, une tapisserie en mouvement, où se lit le goût du Béarn pour la beauté utile et la fidélité aux racines.

Dans l’atelier de la maison Moutet, à quelques pas du Gave, les machines grondent, sifflent, vibrent — et pourtant, elles parlent bas. Ce sont des métiers Jacquard, machines d’acier et de bois nés d’une invention du début du XIXe siècle, mais qui trouvent ici, à Orthez, leur pleine expression dans un compagnonnage entre l’homme et la mécanique. Des bobines tendues comme les cordes d’un instrument, des leviers qui claquent, un ballet de fils qui montent et redescendent, croisant la trame au rythme d’une mécanique répétitive. Logique rigoureuse et art du détail. Car dans le tissage, chaque fil compte, et l’erreur d’un millimètre peut fausser l’ensemble de la composition.
La chaîne, ces fils tendus en longueur, attend la trame, qui viendra s’y insérer de manière perpendiculaire, guidée par la navette ou, plus souvent aujourd’hui, par un système électronique précis. Le Jacquard, génie discret, permet de soulever individuellement chaque fil de chaîne, dessinant dans le tissu, des motifs d’une incroyable finesse. C’est lui, ce Jacquard, qui donne à Moutet ses arabesques géométriques, ses typographies ciselées, ses paysages stylisés.
Mais la technique ne suffit pas. Il faut l’œil du tisserand. Une irrégularité, une tension trop forte, un fil cassé et c’est toute l’harmonie qui vacille. Le geste est ancien, mais jamais routinier. À chaque rouleau, à chaque dessin, il faut adapter, observer, corriger. L’artisan devient alors chef d’orchestre d’un ballet à mille bras.
Et puis, vient la finition : lavage, repassage, découpe, ourlet. Là encore, tout est vérifié, repassé, contrôlé. Le linge Moutet, avant de devenir torchon dans une cuisine, nappe sur une terrasse, ou étoffe murale dans une maison d’architecte, a connu ce lent passage par le soin, la patience et la répétition.
Le béret : drapeau discret d’une province

À première vue, ce n’est qu’un morceau de laine feutrée, rond, souple, sans couture visible. Et pourtant, dans le silence rugueux des vallées béarnaises comme dans le tumulte des places publiques, le béret est un étendard. Il est, pourrait-on dire, le drapeau discret d’un pays qui n’a jamais eu besoin de lever la voix pour affirmer ce qu’il était.
Le béret, bien qu’il soit aujourd’hui partagé par toutes les têtes — militaires, artistes, bergers ou touristes —, est né ici, dans le Piémont pyrénéen, et plus précisément dans cet entre-deux de collines et d’eau douce qu’est le Béarn. Sa fabrication, longtemps domestique, a été codifiée à partir du XIXe siècle, quand les premiers ateliers mécanisés virent le jour à Nay, Oloron-Sainte-Marie et dans les environs d’Orthez.
Mais son histoire remonte bien plus loin.
Le berger béarnais, figure austère et souveraine, était peut-être son premier ambassadeur. Son béret — large, noir, imperméable, parfois rehaussé d’une étoile de laine ou d’un fil de couleur — protégeait de la pluie, du soleil et du regard des autres. Il était à la fois outil, parure, et marqueur d’identité. On pouvait y lire l’âge, l’origine, parfois même la sensibilité politique.

La confection d’un béret relève d’un savoir-faire d’une rare précision. Dans leur boutique, la Manufacture de bérets, en plein centre d’Orthez, Sarah et Léa assurent la fabrication, depuis le fil écru de pure laine mérinos au produit fini. Tout commence par la maille circulaire, tricotée à plat, avant d’être foulée, c’est-à-dire feutrée, dans de l’eau chaude savonneuse. Ce processus resserre les fibres de laine jusqu’à créer une étoffe dense, quasi imperméable, à la fois souple et résistante. Puis vient le dressage, où le béret est tendu, formé, aplati. Le tout, dans le plus grand respect d’un geste ancien, transmis souvent de mère en fils ou d’ouvrier en compagnon.
Les dernières maisons, comme la célèbre fabrique Laulhère, poursuivent cette tradition avec l’élégance d’une fidélité assumée. Le béret, porté aujourd’hui par des créateurs de mode aussi bien que par des paysans, conserve cette ambiguïté propre aux objets vraiment populaires : il est à la fois d’ici et d’ailleurs, ancien et indémodable.
À Orthez, il n’est pas rare de croiser encore des hommes, parfois très âgés, qui le portent sans façon, comme une seconde peau. Ils ne le font pas par folklore, mais par usage. Le béret n’est pas un costume : c’est une manière de tenir tête aux intempéries et à l’oubli. Et peut-être est-ce cela, au fond, que l’on tisse et qu’on coiffe en Béarn, depuis des siècles, cette mémoire vivante, modeste, portée sur le front.
www.manufacturedeberets.fr
Y aller
Orthez, la cité médiévale et le Château Moncade
Renseignements et réservation au 05 59 12 30 40
Rendez-vous à l’Office de tourisme.
Remerciements à Nicole Magescas et à la guide Cécilia.
Visites guidées individuelles de la ville de mai à octobre
e-mail : contact@coeurdebearn.com
www.coeurdebearn.com
Se loger

Le Grand Houx : chambres d’hôtes
Marielle, Philippe et… leur chien Looping vous accueillent dans une grande maison de ville du XVIIIème siècle (charme de l’ancien, avec planchers qui craquent, mais tout le confort contemporain).
80 rue St-Gilles, 64300 Orthez.
www.legrandhoux.com
© Michèle Lasseur
Lire
Gaston Fébus, prince des Pyrénées
Pierre Tucoo-Chala
Editions Deucalion, 1991.
Sotheby’s organisa à Monaco les 23/2 et 1/3/87 une vente aux enchères, la dispersion de la collection du bibliophile Marcel Jeanson qui possédait 5 manuscrits du traité de Fébus. Ils atteignirent des prix extraordinaires : 2.600.000 et 6.200.000 francs.
Texte : Michèle Lasseur




