Au Japon, la tradition du tatouage est réservée aux yakuza, la mafia japonaise. Toujours mal perçu par la population, le tatouage est toléré chez les Occidentaux ou les touristes mais reste négativement connoté dans l’Archipel.

Japon. Séance de tatouage avec Maître Horitake.
Japon. Séance de tatouage avec Maître Horitake.

Globalement, les personnes tatouées sont mal vues au Japon et sont exclues de certains métiers. Ceci est encore plus vrai pour les femmes. Pourtant, le rituel du tatouage est apparu très tôt, dès les premières civilisations nippones. On a retrouvé des statuettes en argile ornées de symboles tribaux dans des tombeaux de l’époque Jomon (13 000 à 800 avant notre ère) (1). Chez les Aïnous, tribu aborigène de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs habitant principalement l’île septentrionale de Hokkaidô, cités dès le VIe siècle, le tatouage est symbole d’appartenance sociale, de protection spirituelle ou encore d’ornement.
Avec l’arrivée du bouddhisme au VIe siècle et aussi sous l’influence chinoise cet art traditionnel devient défavorablement considéré.

Le tatouage, de l’ère Edo à l’ère Meiji

Japon. Yakuza paradant lors du festival Sanja Matsuri à Tokyo, dans le quartier d'Ayakusa.
Japon. Yakuza paradant lors du festival Sanja Matsuri à Tokyo, dans le quartier d’Ayakusa.

Pendant la période Edo (1603 – 1868), le tatouage connaît un certain essor. On distingue alors le tatouage d’honneur, qui célèbre les héros, du tatouage des prisonniers. Au XVIIe siècle, le tatouage est pratiqué par les « bakuto » ou joueurs professionnels, souvent liés au monde de la criminalité, dont certains codes ont été repris par les yakusa, la mafia japonaise. Ceux-ci se tatouaient un cercle noir autour du bras pour chaque crime commis. Les prisonniers seront aussi marqués de symboles sur le bras ou le front jusqu’en 1870.
Les prostituées se mettent aussi à pratiquer l’irezumi dans un but esthétique, ce qui a pour effet d’accentuer la connotation négative de cette coutume. La littérature et le théâtre Kabuki vont donner des figures et des représentations graphiques à cette tradition devenue un art : les héros sont des guerriers intégralement tatoués et les gravures et estampes représentent des dragons, des tigres, des carpes koï, autant de symboles de la mythologie japonaise qui seront repris par les tatoueurs.


Avec l’ouverture du Japon sur le monde, le gouvernement Meiji (1868 à 1912), voulant donner une bonne image aux Occidentaux, décide en 1872 d’interdire totalement la pratique du tatouage. Les tatoueurs opèrent discrètement, sous couvert d’une autre activité. Au début du 20e siècle, ils trouvent de nouveaux clients : les marins des bateaux étrangers. Pendant l’occupation américaine qui suit la Seconde Guerre mondiale, la pratique est à nouveau légalisée mais reste associée aux basses classes et au crime organisé.

Yakuza et tatouages

Japon. Yakuza vêtu d'un simple fundoshi lors du festival Sanja Matsuri au temple de Kannon à Tokyo.
Japon. Yakuza vêtu d’un simple fundoshi lors du festival Sanja Matsuri au temple de Senso-Ji dédié à Kannon, déesse de la miséricorde, à Tokyo.


La pratique du tatouage reste une marque de fabrique des yakusa de même que le yubitsume (2), ce qui les démarque de la population japonaise. C’est une manière d’imposer la crainte autour de soi et surtout une reconnaissance de leur appartenance. Car au Japon, les yakuza ont pignon sur rue et suscitent toujours une sorte d’admiration. C’est la seule organisation criminelle au monde qui doive se déclarer en tant qu’association et dont chacun de ses membres se fait enregistrer. Toutefois, la modernité et les persécutions policières ont eu un fort impact sur l’institution : de plus de 200 000 membres au début des années 1960, ils seraient moins de 100 000 aujourd’hui.

Japon. Lors du troisième weekend de mai, les yakusas se montrent et dévoilent leurs torses maculés de tatouages dans un festival très prisé, le Sanja Matsuri. La procession rassemble 200 "Mikoshi" ou autels sur palanquin mobile.
Japon. Lors du troisième weekend de mai, les yakusa se montrent et dévoilent leurs torses maculés de tatouages dans un festival très prisé, le Sanja Matsuri. La procession rassemble 200 « Mikoshi » ou autels sur palanquin mobile.

Le tatouage traditionnel avec la méthode du tebori

Japon. Tokyo. Préparation de l'encre noire par le tatoueur Taketo Omiya dans son studio à Ikebukuro.

Japon. Tokyo. Préparation de l’encre noire par le tatoueur Horitake san dans son studio à Ikebukuro.

Il se pratique à même le sol, sur des tatamis protégés par une alèze. Cette forme ancestrale de tatouage, réalisé avec la méthode du tebori, est plus difficile pour le tatoueur que le tatouage fait avec une machine électrique. L’irezumi est reconnaissable entre tous grâce à ses motifs et ses couleurs vives caractéristiques.

Japon. Tokyo. Tatouage dorsal réalisé par maître Hirotake.
Japon. Tokyo. Tatouage dorsal en cours de réalisation par maître Hirotake.

Traditionnellement de grande dimension, le tatouage recouvre en général tout le torse et peut s’étendre jusqu’au bout des bras et recouvrir les jambes. L’encre est insérée sous la peau à l’aide de plusieurs aiguilles fixées au bout d’un bâton en bambou ou en acier. Cette technique d’encrage ancestrale est toujours pratiquée par quelques rares maîtres tatoueurs au Japon.
Un des principaux colorants utilisés est l’encre de chine en bâton et aussi le vermillon. Le tatouage est réalisé en couleur sur les épaules, le dos, la poitrine afin de pouvoir être dissimulé sous les vêtements et nécessite force et courage.

Japon. Yakuza arborant un tatouage intégral, ce qui  requiert une grande force de caractère.
Japon. Yakuza arborant un tatouage intégral, ce qui requiert une grande force de caractère.

La représentation du dragon (créature magique dotée d’un grand pouvoir) est très prisée. La carpe (koï) symbolise le courage, la puissance, la fleur de cerisier (sakura) la beauté fugace.

Si vous enviez ces beaux tatouages à l’ancienne, Monsieur Horitake, yakuza assagi, (il lui manque un petit doigt !), réalisera une œuvre d’art sur votre épiderme en 25 séances de 4 heures. C’est un processus long et douloureux : l’aiguille en métal enfonce l’encre sous la peau. Monsieur Horitake utilise comme autrefois l’aiguille mais sur un appareil électrique qu’il a lui-même conçu.

Japon. Tokyo. Tatouage réalisé par maître Horitake sur le dos et les cuisses d'un yakuza.
Japon. Tokyo. Tatouage réalisé par maître Horitake sur le dos et les cuisses d’un yakuza.

« Plus le tatouage est beau, plus la souffrance est intense. Tatouage et force spirituelle vont de pair. Attention, il ne pourra jamais être effacé », explique le maître tatoueur. Un tatouage peut prendre plusieurs années à être finalisé et coûter le prix d’une très belle voiture, soit plusieurs dizaines de milliers d’euros…

Quelques artistes dessinent encore comme par le passé. Ils trouvent leur inspiration dans des récits classiques et dans la mythologie. À genoux pendant toute la séance, les maîtres tatoueurs font preuve d’une concentration soutenue pour réaliser ces dessins complexes, voilà pourquoi ils ne peuvent pas travailler plusieurs heures d’affilée. Les clients doivent alors revenir… ou pas.

1 – À ce propos, la galerie TAV à Tokyo, a exposé, il y a quelques années, un projet artistique réalisé en collaboration par le tatoueur Taku Oshima et le photographe Ryoichi Keroppy Maeda dans lequel les motifs de la période Jomon sont inscrits sur des corps humains.
2 – Le yakusa qui enfreint le code d’honneur, commet une erreur ou n’obéit pas à un ordre, peut pratiquer le yubitsume. Il propose à son supérieur d’offrir la dernière phalange de son auriculaire en signe de contrition ou pour réparer une offense.

Texte : Michèle Lasseur et Brigitte Postel
Photos : Sylvain Grandadam