Flottant sur la rivière Cher, ce château de tuffeau coiffé d’ardoises lève ses tourelles et ses cheminées carrées vers le ciel… Il jaillit au fond d’une grande allée d’arbres, léger, lumineux, transparent.
Le château n’est pas au bord de l’eau mais bâti en plein courant du Cher. Assis dans un canoé, quel bonheur de passer sous ses arches ! Il faut voir Chenonceau de l’eau. Du tuffeau, des tourelles, des parterres… et de la grâce. Il ressemble à un palais vénitien qui navigue sur le temps.
Ce chef-d’œuvre de la Renaissance doit tout aux femmes. Edifié en 1513 par Dame Katherine Briçonnet, épouse de Thomas Briçonnet, notaire et secrétaire du roi, le château fut transformé par Diane de Poitiers, maîtresse du dauphin Henri II. Il le lui offre après la mort de son père, François 1er. Diane, de 20 ans son aînée, a longtemps refusé ses avances. Sa beauté et plus encore son esprit avaient subjugué Henri, marié à Catherine de Médicis. Catherine, d’origine florentine, fit édifier les deux galeries sur le Cher. Le château franchit non sans mal la Révolution. Il fut acquis par l’industriel Henri Menier en 1913 et transmis à sa mort en septembre de la même année à son frère Gaston. Le plus visité des châteaux privés est toujours géré par la même famille.
Ce vaisseau de tuffeau est composé de trois parties distinctes : un corps de logis de deux étages, flanqué de tourelles d’angles. Une longue galerie de 60 mètres s’appuie sur la façade sud du logis et repose sur cinq arches qui enjambent le Cher. Le donjon plus ancien est rebaptisé Tour des Marques.
C’est Diane qui a l’idée du pont et des cinq arches. L’architecte Philibert Delorme fait surélever le jardin pour le protéger des crues de la rivière. Il est orné d’un labyrinthe de verdure et d’arbres fruitiers.
Les arches n’étaient même pas achevées, le roi meurt dans un tournoi. Elle doit céder le château à la reine Catherine de Médicis en échange du château de Chaumont-sur-Loire.
Un reflet d’aujourd’hui sur hier
Descendons dans les cuisines installées dans une arche posée sur le lit du Cher. L’office est une salle basse aux deux voûtes sur croisées d’ogives. On y voit une cheminée du XVIe siècle, à côté se trouve le four à pain. On imagine des servantes qui épluchent des légumes, des marmitons autour des fourneaux et un chef pour tout orchestrer.
Une galerie de conte de fées à deux étages traverse le Cher. Au premier, la Grande Galerie, longue de 60 mètres et large de 6 mètres, fut construite sur le pont de Diane de Poitiers et inaugurée en 1577 lors des fêtes données par Catherine de Médicis. Elle est éclairée de 18 fenêtres avec un sol carrelé de tuffeau et d’ardoise. Elle s’inscrit dans l’histoire du XXe siècle puisqu’elle fut transformée en hôpital militaire pendant la guerre de 1914-18.
De cette galerie, par un petit passage, on rejoint la chambre de Diane de Poitiers, la favorite du roi Henri II. Le point de mire : un grand lit à baldaquin tout en damas bleu. Ah ! traverser les siècles au laser et coucher dans le lit de Diane de Poitiers, même vide… Flaubert en a rêvé quand il vint en 1847.
Une rêverie peut être grande et engendrer des mélancolies. Devant de vieux portraits, on se plaît à imaginer toutes les belles dames emperruquées tournoyer dans des ballets devant des gentilhommes qui, à l’occasion, « s’envoyaient » de bons coups d’épée. On voudrait que leurs lèvres s’ouvrent pour nous conter leurs amours, leur volupté. Mais ils restent muets dans leur cadre de bois.
Les châteaux de la Loire gardent l’image d’un (ou de plusieurs) roi qui a fait la célébrité des lieux. Chenonceau a son salon François 1er avec une belle cheminée Renaissance et un cabinet italien du XVIème siècle, incrusté de nacre et d’ivoire, gravé à la plume, ayant appartenu au roi éponyme.
Le château des six femmes
Le vestibule est couvert d’une série de voûtes d’ogives dont les clefs, décalées les unes par rapport aux autres, forment une ligne brisée.
Prenons l’escalier couvert d’une voûte rampante à nervures se coupant à angles droits, orné de figures humaines, de fruits et de fleurs. C’est un des premiers escaliers droits construits en France sur le modèle italien.
Nous arrivons à la Chambre des Cinq Reines, ainsi nommée en souvenir des deux filles et des trois belles-filles de Catherine de Médicis. Les murs sont tendus de tapisseries des Flandres du XVIème siècle. Les armoiries des reines sont incrustées dans le plafond à caissons.
On voudrait savoir si ces gens-là avaient des passions, des angoisses, des voluptés.
À Chenonceau, le charme des jours coule comme les images successives des rois, des reines et des favorites qui y ont séjourné. Catherine de Médicis pourrait revenir, elle retrouverait sa chambre. Volupté très XVIe siècle, elle fit couvrir les murs de tapisseries et de cuirs de Cordoue dorés et garnir les fenêtres de vitraux. On voit encore la cheminée sculptée, le plafond en bois à caissons carrés, peints et dorés, le lit à baldaquin orné de frises. L’histoire se revisite comme une maison qu’on croit connaître.
Il y a encore à Chenonceau la chambre d’une autre favorite, celle de la belle Gabrielle d’Estrées : elle fut le grand amour du roi Henri IV et mère de son fils légitimé César de Vendôme. Le plafond à solives apparentes, le sol, la cheminée et le mobilier sont Renaissance.
Potagers et Jardins
Des terrasses surélevées protègent les jardins des crues du Cher. Le Potager des Fleurs est organisé en 12 carrés bordés de pommiers et de rosiers tige » Queen Elisabeth « . Sur plus d’un hectare, les jardiniers du Domaine cultivent une centaine de variétés de fleurs à couper : 400 rosiers, des tubéreuses, agapanthes… Deux serres anciennes permettent la culture des bulbes de jacinthes, amaryllis, narcisses, tulipes et les plantations de semis. Et ce n’est pas tout ! Dans les jardins à la française, 130 000 plants de fleurs sont cultivés. Quant au labyrinthe italien, souhaité par Catherine de Médicis, il est planté de 2000 ifs, avec en son centre une gloriette d’osier vivant…
Le Bâtiment des Dômes
Le château de Chenonceau a retrouvé son Cabinet des Sciences. Construit par Catherine de Médicis, ce bâtiment à la toiture « à l’impériale » abrite l’Apothicairerie de la Reine et la Cave des Dômes. Jean-Jacques Rousseau, passionné de botanique, séjourne au château de Chenonceau, à l’automne 1747. « On s’amusa beaucoup dans ce beau lieu. On y faisait très bonne chère, j’y devins gras comme un moine », écrit-il dans ses Confessions. Un laboratoire y fut installé. On pouvait y utiliser toutes sortes d’instruments : la vis d’Archimède ou « vis sans fin » qui sert à l’ascension de l’eau, ou de solides en poudres ou en grains. Les expériences font réfléchir le spectateur afin qu’il comprenne les lois de la nature. En ce milieu du XVIIIe siècle, ce qui surprend c’est le goût des sciences et des techniques. Avec des machines simples : leviers, palans, poulies, …
Pratique
Depuis 2017, le périmètre du Val de Loire, inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, comporte le domaine de Chenonceau, château, jardins et parc, la portion de la rivière le Cher enjambée par le château, une partie du village, ainsi que le chemin historique qui relie Chenonceaux à Amboise.
www.chenonceau.com
Visite vidéo guidée avec iPod
Lire
Chenonceau, le château sur l’eau
J.P. Babelon , photographies de Benjamin Chelly
Albin Michel, 240 pp., 2018
C’est le livre de référence sur ce joyau de la Renaissance avec une mine d’informations sur l’histoire du lieu, sa construction, ses propriétaires… et 150 photographies inédites, complétées d’images d’archives.
Jean-Pierre Babelon, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres est historien. Il a reçu le grand prix national du patrimoine en 1989.
Benjamin Chelly est photographe d’architecture et de design.
Texte : Michèle Lasseur
Photo d’ouverture : Benjamin Chelly