52 îlots à marée haute, 365 à marée basse, sans compter les écueils. Voici Chausey, le plus grand archipel d’Europe, avec ses rochers à fleur d’eau éparpillés sur une superficie de 5000 hectares au jusant. Balade dans des paysages incomparables dont le charme tient à la mouvance des lieux due aux plus grands marnages d’Europe.
« Notre problème à nous Granvillais, c’est Chausey… », plaisantent souvent les régatiers qui se risquent dans ce chapelets d’îles fantasques, à une heure de Granville. Car la magie de Chausey, c’est bien cela : une constellation d’îlots dont l’organisation ne cesse de changer au gré du flux et du reflux et dont les hauts fonds – les grunes (prononcer greunes) – ont nargué bien des quilles. Lunaire à marée basse, vénitienne à mi-marée, et enfin maritime au flot, Chausey dévoile une silhouette et des couleurs différentes à chaque heure. Soumise au gré des puissantes marées qui la déshabillent, la belle normande se veut indomptable. Même les Anglais ont renoncé à nous la prendre. Ce labyrinthe marin est tout d’abord un paradis pour voileux et chaque bateau peut trouver un mouillage sans donner l’impression que le lieu est envahi … tout au moins pour l’instant ! Réserve et patrimoine naturel de Basse-Normandie, Chausey est un petit bijou qui se savoure aussi en arpentant les chemins humides de son bocage vallonné ou son estran si fragmenté. Tabarly aimait tant ces îles qu’il considérait comme un des plus beaux archipels au monde ! Une stèle lui est d’ailleurs dédiée en haut de la rue qui mène à la Grande Cale.
Tour du littoral
Battue par les bourrasques de printemps, nimbée de brume, Chausey sort de sa torpeur hivernale avec l’arrivée des premiers touristes et marcheurs. Dès la cale, la présence de nombreux casiers à homards rappelle la spécialité de l’île. Comme ses voisines anglo-normandes du plateau des Minquiers, Chausey et ses champs de cailloux sont un repère de choix pour ce goûteux crustacé. Les pêcheurs chausiais disparaissent peu à peu – il ne reste qu’un seul pêcheur aujourd’hui –mais les amateurs sont de plus en plus nombreux à tenter le bar à la ligne ou le fameux bouquet à coup de « bichettes ». Une pêche à déguster le soir au mouillage, dans ce décor de rêve, ou à l’hôtel du Fort et des Îles.
Pour ceux que la voile ne tente guère, la Grande Ile (c’est son nom bien qu’elle ne mesure que 2 km de long sur une largeur de 200 à 700 m) offre son sentier littoral, à la découverte des plages sauvages qui jalonnent ses grèves. En marchant sans s’arrêter, il faut trois ou quatre heures pour en faire le tour. Les routes sont ici inconnues. Les voitures et les vélos aussi. Seuls circulent le tracteur qui collecte les ordures ménagères, la voiturette électrique de l’hôtel et les chariotes des insulaires.
C’est dans le clapot des vagues et sous un petit vent de norois, que nous partons à la découverte de l’île par le sud et l’est, en empruntant le sentier de bord de mer qui débute sous l’hôtel. On passe devant deux amers en granit, les tours Baudry et Lambert, étranges balises érigées au milieu du XIXe siècle, afin de mettre un terme aux querelles entre pêcheurs Granvillais et Cancalais.
L’alignement de ces deux amers séparait la baie du Mont-Saint-Michel en deux. Les jours de pêche, un bateau officiel mouillait sur cette ligne de démarcation et veillait à ce que les zones soient respectées. Les tours ont gardé le nom des deux gardes-jurés qui faisaient partie de la commission maritime chargée de définir ce délicat alignement… et de mettre fin aux rixes entre marins.
Le sentier sillonne devant quelques maisons fleuries, surtout occupées pendant les vacances et louées avec des baux emphytéotiques, pour déboucher sur le phare de l’île. Il s’est allumé pour la première fois en octobre 1847. Et lance toujours de ses 39 m de haut un éclat blanc toutes les cinq secondes, visible à 22 milles.
Juste à côté de lui, le fort a reçu sa première pierre en 1859 sous le règne de l’empereur Napoléon III. Et fut achevé en 1866. Mais le plus drôle, c’est qu’il ne servit à rien car les guerres contre l’Angleterre étaient bien finies. Déclassé quarante ans après sa mise en service, ce fort a hébergé 300 prisonniers allemands et autrichiens pendant la Première Guerre mondiale – et une petite garnison du IIIe Reich pendant la Seconde. Aujourd’hui, il abrite des familles de pêcheurs qui vivent toute l’année dans les anciennes casemates voûtées et recouvertes de terre engazonnée. Protégé par des douves profondes qui dessinent une construction en forme de pentagone, l’édifice mérite vraiment le coup d’œil.
Nous faisons ensuite une petite halte à Port Marie. Curieusement, ici, le mot « port » est employé pour désigner certaines plages. En fait, à l’origine, il servait à désigner l’abri précaire formé par les anses qui découpent l’île.
Réserve naturelle
Avant de rejoindre Port Homard et sa superbe plage, très fréquentée durant la belle saison, on contourne la pointe de Bretagne, une lande aride et ventée où le granit se dispute d’impénétrables buissons de genêts et d’ajoncs enchevêtrés de ronciers. Typiquement armoricaine, cette lande occupe près du tiers de la surface de l’île. C’est elle qui donne toute sa splendeur au paysage de Chausey, tant par la couleur dorée de sa floraison que par son parfum délicat qui embaume les chemins dès les beaux jours.
Lézards et lapins y pullulent. Ici on évite toutefois de prononcer ce mot et on les nomme longues oreilles, caniches ou encore cannibales, tant le mot est tabou pour tout marin qui se respecte.
De nombreux oiseaux marins nicheurs trouvent refuge dans l’île et les îlots : grands cormorans, cormorans huppés, goélands marins, sternes… de même que certains migrateurs et hivernants : bernaches, pluviers, fous de Bassan…. Et le rare canard tadorne, qui niche dans des terriers, en a fait son havre préféré. On le repère surtout hors saison, lorsque le flot des visiteurs a disparu. La totalité de l’archipel étant classée en réserve ornithologique, la chasse y est bien sûr interdite.
Plage de Port Homard et château Renault
En poursuivant le sentier qui coure au bord de blocs de granit, on arrive sur la plage de Port Homard que domine le château Renault. Construite en 1559 sous Henri II, cette austère bâtisse qu’on appelle aussi « le vieux fort », a connu bien des déboires au fil des siècles, notamment du fait des destructions dues aux troupes anglaises. Le constructeur automobile Louis Renault, tombé amoureux de Chausey, l’a trouvé à l’abandon lorsqu’il l’a rachetée en 1922 et l’a faite entièrement restaurer avant de lui adjoindre la curieuse piscine taillée dans le granit à ses pieds (à ce jour désaffectée) et le hangar à bateau, aujourd’hui en ruine, sous le sémaphore. Le Château, qui appartient maintenant à une des trois familles de la société civile immobilière (SCI) propriétaire de la presque totalité de l’île et des îlots, ne se visite pas.
Pour protéger les cordons de dunes et empêcher leur piétinement, celle-ci a installé des clôtures et planté des milliers d’oyats pour permettre au tapis végétal de se reconstituer et enrayer le processus d’érosion. Des descentes de plage canalisent maintenant les visiteurs, ce qui permet aux chardons bleus, aux superbes petits rosiers « pimprenelle » et autres espèces rares et protégées (cueillette interdite), comme le géranium sanguin et l’œillet de France, de pousser à nouveau. Quant au cœur de l’île, les chemins sont bien tracés et les ajoncs suffisamment agressifs pour décourager les échappées sauvages.
Sa majesté l’éléphant
Après les rochers des Moines, la plage de Grande-Grève s’incline vers la pleine mer en dessinant une courbe étroite de sable blanc. On poursuit notre excursion jusqu’au fameux éléphant, une des nombreuses statues de pierre de l’île. On l’approche à marée basse en franchissant un chaos de blocs de granit assombris par les algues. Vraiment ressemblant !
Plus au nord, l’ancien sémaphore, perché sur la colline au point culminant de l’île, surveille les rochers solitaires. Par beau temps, on peut apercevoir Jersey, Granville, le Mont-Saint-Michel et même Saint-Malo. Bâti au milieu du XIXème siècle, il était l’organe de communication de Chausey, recevant les messages du continent. Aujourd’hui, il abrite un relais scientifique.
Dans cette partie sauvage de Grande-Ile, on trouve de nombreuses anciennes carrières de granit, immenses chantiers au bord de l’eau exploités pendant neuf siècles. À une certaine époque, l’île compta jusqu’à 600 carriers. Les remparts et l’église de Granville, le Mont-Saint-Michel et même les quais de Londres, de Dieppe et les trottoirs parisiens furent réalisés avec ce granit qui constitue l’assise de l’île.
Un bocage miniature
En revenant par le cœur de l’île, on pourrait croire qu’on marche au cœur du bocage normand. Sur les champs de l’ancienne ferme (les derniers fermiers sont partis en 1991), des moutons d’Ouessant récemment introduits par un groupement d’éleveurs, paissent tranquillement. La ferme, elle, a été rénovée et transformée en gîtes.
Juste en face, les minuscules maisons du village des Blainvillais étalent leurs parterres de fleurs. Ces anciennes masures autrefois couvertes de chaume, construites vers 1825, ont d’abord accueilli des barilleurs et des carriers de Blainville (petite ville de la côte Ouest du Cotentin). La plupart d’entre eux, devenus pêcheurs à la fermeture des carrières, venaient à la belle saison traquer bouquets et crustacés, occupant ces petites maisons basses dont Louis Renault finança la rénovation entre les deux guerres.
Tout comme le clocher de la petite chapelle qui domine la cale et qui mérite le détour. Magnifiquement éclairée par les très beaux vitraux d’Yves de Saint Front, fils du célèbre peintre chausiais Marin-Marie, elle recèle les statues de Sainte Anne et Saint Benoist et deux maquettes de bateaux, dont un beau trois-mâts offert en ex-voto.
Enfin, notre balade s’achève dans le petit jardin de l’hôtel du Fort et des Iles, qui surplombe le Sound, le chenal qui longe la Grande Île. Là, verre de vin blanc à la main, on goûte au bonheur en regardant le soleil décliner sur l’archipel. Les chenaux disparaissent lentement avec le reflux, composant une polychromie mouvante et fugace. On ne saisit pas Chausey d’emblée. C’est Chausey qui vous prend… avec patience. Comme le veut le dicton : « Qui va à Chausey une fois, y revient cent fois. »
Texte et Photos : Brigitte Postel
Marées
Impossible de ne pas en tenir compte, même par faible coefficient. Car si le marnage maximal est d’environ 15 mètres, il est déjà de 5 mètres pour une morte eau moyenne, et de plus de 10 mètres pour une banale marée de 90. Les marées hautes sont en retard de 5 minutes, et les marées basses de 15 minutes par rapport à Saint-Malo, port de référence.
Prudence
Une bonne partie de l’archipel peut se visiter à pied, à marée basse, les jours de grandes marées. Les langues de sable offrent un terrain d’exploration plus vaste à marée descendante, mais il faut bien calculer son coup car le flot revient très vite et des chenaux peuvent se remplir, coupant le retour aux intrépides. L’excursion réclame donc beaucoup de prudence si l’on ne veut pas se retrouver planté sur un îlot à attendre la prochaine marée. Prendre garde également aux vasières. Le débarquement sur les îlots (réserve d’oiseaux) est interdit pendant les périodes de nidification.
Météo
Quelque soit le temps, cet archipel garde tout son charme. La météo subit l’influence des marées et peut changer très vite.
Se loger
Hôtel du Fort et des Iles
C’est le seul hôtel de l’île. Il dispose de 8 chambres, autant dire qu’il faut réserver longtemps à l’avance. Même si vous ne souhaitez pas prendre un repas, la grande salle de bar mérite le détour et vous profiterez d’une vue superbe sur le Sound.
www.hotel-chausey.com
Tél. 02.33.50.25.02
Ouvert de mi avril à fin septembre
Restaurant sur place.
Appartements dans l’ancienne ferme
http://ileschausey.com/textes/viepratique/accueil-laferme.htm
Tél. 02.33.90.90.53
20 appartements de 2/3 à 8/9 personnes.
Gîtes communaux dans l’ancien presbytère et ancienne école
www.ville-granville.fr/office_municipal_tourisme_granville.asp
Tél. 02.33.91.30.03 (Office du Tourisme) –
5 gîtes de 4 à 7 personnes.
Possibilité de louer à la journée d’octobre à fin mars. Location uniquement à la semaine de début avril à fin septembre.
Y aller
Compagnie Jolie France
http://vedettejoliefrance.com – Tél. 02.33.50.31.81
Service toute l’année. Tous les jours d’avril à septembre. D’octobre à mars : le mercredi, samedi, dimanche et jours de grandes marées,
Durée de la traversée : de 30 à 55 mn selon le bateau,
Compagnie des Iles Chausey
Service quotidien d’avril à septembre. Tél. 02 33 50 16 36.
Informations pratiques, le site des Chausiais : http://ileschausey.com