C’est au lever du soleil, par les hublots de l’avion, qu’on découvre l’Ouzbékistan, en particulier la région du Khorezm, vaste zone d’oasis sur le cours inférieur de l’Amou Daria, l’Oxus des Grecs. Trente-cinq kilomètres séparent l’aéroport d’Ourguench de Khiva, notre destination. Toute la vie et l’histoire de cette ville, bordée par les déserts du Kyzylkum et du Karakum, sont dictées par ce fleuve, l’Amou-Daria, qui vient mourir dans la mer d’Aral.
Une légende raconte que Khiva fut fondée par Sem (l’un des fils du personnage biblique Noé) qui y creusa le puits de Keivah. Une autre que Sem, après avoir vu une forteresse en rêve, décida de créer une ville à l’endroit où il avait bu une eau de grande qualité à son réveil. Quoiqu’il en fût, sa situation géographique à la limite du désert du Karakoum a incité ses habitants à développer très tôt un système d’irrigation complexe et d’approvisionnement en eau en exploitant les eaux du fleuve Amou-Daria situé à une quarantaine de kilomètres.
L’ultime étape des caravaniers avant la traversée du désert
Les historiens pensent que la cité a existé dès le Vème siècle avant J.C. et certains prétendent même que le prophète Zoroastre y naquit, celui dont le vrai nom dans l’ Avesta – texte sacré des Zoroastriens – est Zarathoustra. Nietzsche lui offrira une notoriété particulière en Occident avec le livre Ainsi parlait Zarathoustra.
La région fait ensuite partie des empires parthe (247 av. J.-C. à 224 apr. J.-C.) puis sassanide (de 224 à 651). Avant de succomber dans les années 710 à la folie destructrice des conquérants arabes et de leur chef Kouteyba ibn Mouslim . Les savants et intellectuels sont tués, les codex et manuscrits brûlés. Le Khorezm est séparé en deux parties avant d’être réuni en 992 par l’émir ibn Mouhammad. Avec ses descendants, les sciences, la littérature et les arts s’épanouissent. Nous sommes au XIe siècle et la ville attire des savants universellement réputés. Mais la paix ne dure jamais longtemps dans ces régions. Le Khorezm est à nouveau envahit par les Turcs Karakhanides avant d’être pris par deux autres dynasties turques, les Ghaznévides et les Seljoukides. Ultime étape des caravaniers avant la traversée du désert en direction de la Perse, l’oasis de Khiva était stratégique et attirait toutes les convoitises.
D’invasions en insurrections
Prise dans les tourments des grandes invasions mongoles, Khiva se retrouve inféodée à l’empire de Gengis Khan en 1220 et est à nouveau détruite. En 1388, Tamerlan (Amir Timour) s’empare de la région. Les Timourides vont régner ici jusqu’à l’arrivée des Chaybanides . Mais en 1512, les conquérants ouzbeks érigent Khiva en un khanat indépendant qui va prospérer jusqu’au XIXe siècle, en tant que centre d’échanges et forteresse protégeant les caravanes. Avec une parenthèse de quelques années lorsque la région tombe en 1740 sous les assauts du conquérant afghan Nadir Shah (fondateur de la dynastie Afcharide qui régna entre 1736 et 1747).
Puis, les Russes soumettent Khiva en 1873 et le khan devient le vassal du Tsar. C’est à cette période que les chemins de fer sont construits pour relier l’Asie centrale à la Russie (le chemin de fer se révèle cent fois plus rentable que la voie des caravanes) et que l’esclavage est aboli. « Avant l’expédition de 1873, Khiva était l’un des principaux marchés d’esclaves de l’Asie : c’est là que les Turkmènes vendaient leurs bandes de captifs, pris ou achetés sur les bords de la Caspienne, sur les plateaux de la Perse, de Herat, de l’Afghanistan. Les esclaves les plus appréciés pour leur force de travail étaient les Russes : chacun valait quatre chameaux » , écrit Elisée Reclus dans la Nouvelle géographie universelle, L’Asie russe (1881). Les historiens russes estiment à près d’un million le nombre de Persans, Russes, Turkmènes qui furent réduits en esclavage et vendus par les khans de Khiva. D’où leur immense richesse !
Cependant, les révolutions russes de 1917 modifient la donne. En 1920, le khanat de Khiva et l’émirat de Boukhara vont faire les frais de l’arrivée des bolcheviks qui proclament la création de la République soviétique populaire du Khorezm avec Khiva pour capitale. Des colonies russes se forment sur le territoire des deux monarchies – Khiva et Boukhara. Elles vont par la suite devenir des noyaux de contestations révolutionnaires. En appliquant les principes de la révolution socialiste : nationalisation de tous les biens, émancipation forcée des femmes, limitation des cultes, etc. Conséquence : les bolcheviks se mettent à dos la population et les musulmans. L’insurrection du clergé et du chef turkmène Djounaïd khan entraîne la région dans une guerre sanglante, jusqu’à ce que l’armée Rouge rétablisse l’ordre en 1924.
Une accumulation de chefs-d’œuvre
Khiva est séparée en deux parties : Dichan-Kala, la ville extérieure, et Itchan-Kala, la ville intérieure, retranchée en ses murailles crénelées et ondulantes de briques et de pisé. La plupart des constructions encore debout datent des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Un programme de réhabilitation engagé depuis près de quarante ans l’a rendue tellement léchée qu’on a parfois l’impression de se retrouver dans un parc à thèmes.
La ville intérieure est entièrement piétonne et regorge d’échoppes pour touristes. Ici des toques en fourrure, de l’artisanat en bois sculpté, des marionnettes, de la vaisselle en céramique, des tapis, etc. Les places, les monuments, les ruelles composent un paysage urbain plein de charme. Le centre historique comprend plus de 50 monuments et 250 maisons traditionnelles érigées entre le 16e et le 19e siècle.
On va de palais en mosquées, de medersas en caravansérails : une flopée de merveilles dans une ville presque trop parfaite. Avec ses frontons, ses ogives, ses tours recouvertes de majoliques bleues ou vertes.
Le minaret tronqué Kalta Minor
Edifié en briques recouvertes d’une glaçure turquoise et vert jade rayonnant au soleil, le minaret tronqué Kalta Minor resplendit au soleil couchant. C’est l’emblème incontesté de Khiva. Il se tient à l’extérieur de la médersa Mouhammad Amin Khan. Celui-ci voulu se rendre célèbre par l’édification du plus haut minaret de l’islam. Les travaux commencent en 1851, mais sont interrompus à la mort de l’ambitieux. Reste ce curieux édifice qu’on ne cesse d’admirer.
Médersa Mouhammad Amin Khan
Cette médersa était jadis la plus grande école coranique d’Asie Centrale et pouvait accueillir en même temps jusqu`à 260 étudiants. Elle est surmontée de cinq dômes et tours de flanc. La façade est décorée avec de riches ornements en briques glaçurées et les portes en bois abondent en sculptures ornementales. Le bâtiment comprend 125 khoudjras(cellules) et toutes celles du rez-de-chaussée ont deux pièces. Celles au premier ont de petits balcons. Jamais auparavant on ne prévoyait de tels balcons dans la construction des médersas. Ses façades richement décorées et ses balcons particuliers en font un chef-d’œuvre de l’architecture islamique.
Mosquée Djouma
Reconstruite en 1789, cette étonnante mosquée du Vendredi est constituée d’un vaste espace à toit plat entouré d’une muraille, soutenu par 217 colonnes en bois d’orme sculpté dont certaines datent des Xe, XIe et XIIe siècles ! Les motifs des fûts et des socles sont tous différents et elle est éclairée par deux puits de lumière.
Le palais Tach Khaouli
Résidence des khans de Khiva jusqu’en 1880, ce palais a été bâti pour pour le souverain Alla Kouli Khan. Il est composé de 260 pièces dont certaines sont de pures merveilles.
Le palais comprend trois cours : celle du harem organisé autour d’une cour intérieure bordée d’appartements d’été et d’hiver pour le Khan et ses 4 femmes ; celle du Ichrat Khaouli(ou salle d’audience) et celle de justice où le khan tranchait les litiges.
Les appartements du harem sont tous conçus selon la même architecture : un haut iwan ouvert en direction du nord-ouest, pour l’été et une pièce attenante pour les mois d’hiver. L’ensemble a été décoré de majolique bleue et blanche par le céramiste réputé Abdoullah Djinn qui réalisa aussi le palais de l’Ark. La cour du harem est répartie en cinq iwans tapissés de carreaux de céramique bleue, où vivaient les quatre épouses officielles et le khan. Chaque iwan et supporté par une fine colonne en bois sculpté, posée sur un socle en marbre. Entre le bois et le marbre, un disque de feutre permettait à la colonne de glisser en cas de tremblement de terre. Les servantes, concubines et esclaves vivaient dans la partie nord du harem.
Promenade nocturne : Khiva-là ?
Dans la tiédeur du soir, après avoir dégusté le « plov », plat national très riche (riz, huile de sésame, carottes jaunes, oignons, pois chiches, épices et morceaux de mouton bien gras), une promenade digestive s’impose. C’est le moment où l’on découvre les monuments savamment illuminés. Délivrée de ses chalands, la ville prend une dimension féérique. Les édifices se parent d’une couleur ambrée. On se laisse prendre dans cette ambiance languide qui a fait rêver tant de voyageurs. Demain, nous partirons pour Boukhara . Huit heures de route entre désert du Kyzylkoum (sables noirs) et le fleuve Amou-Daria et ses champs de coton. Repos !
Texte et Photos : Brigitte Postel
Très belle découverte qui donne envie de replonger dans cette histoire
Magnifique reportage!
Merci!