Jusqu’au 16 février, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac propose une exposition sur les zombis d’Haïti. « Zombis. La mort n’est pas une fin ? » interroge une réalité anthropologique polymorphe, religieuse, sociale et historique. Rencontre avec les « non-morts » issus de la culture vaudou haïtienne.
En République démocratique du Congo, l’étymologie du mot zombi correspond à un fantôme, le plus souvent celui d’un enfant mort. Le terme plonge ses racines dans différents idiomes d’Afrique de l’Ouest. Il serait dérivé de Nzambi (divinité) au Congo, Mzumbi au Togo (un corps qui n’est plus sous contrôle d’un esprit), Ngzombi au Dahomey (un être envoûté). « La pratique de la zombification à Haïti se situe à la convergence de trois phénomènes : les religions d’Afrique sub-saharienne (et notamment les pratiques de sorcellerie visant à porter atteinte à distance à des victimes) ; les routes de l’esclavage sur lesquelles se sont rencontrées croyances et cultures de trois continents ; et la maîtrise des poisons et des substances stupéfiantes par les populations autochtones de l’arc de la Caraïbe (Arawak, Taïnos, Caraïbes) », détaille le dossier de presse de l’exposition.
Des sociétés secrètes
On compte une dizaine de sociétés secrètes du vaudou haïtien, qui prétendent descendre de groupes d’esclaves marrons, c’est-à-dire fuyant leurs maîtres occidentaux (Chanpwèll, Cochon gris, Cochon marron, Bozop, Bizango, etc.). Selon leurs spécificités (région d’origine, divinité tutélaire, etc.), elles se sont spécialisées avec le temps, acquérant des pouvoirs et des fonctions précises. La société Bizango joue ainsi un rôle judiciaire, à la fois préventif et curatif ; c’est elle qui a traditionnellement la charge de créer les zombis.
La bannière ci-dessus de l’artiste haïtienne Myrlande Constant est un résumé des rituels se rapportant à Baron Samedi et Grande Brigitte. Au centre de la tenture, on reconnaît le loa (1) des morts, vêtu de ses habits élégants, un verre de lunettes cassé, avec chapeau et redingote. Autour de lui, des tombeaux et des croix indiquent que l’on se trouve dans un cimetière. Des initiés viennent visiter les défunts, et leurs vêtements sont comparables à Baron Samedi avec une chaussure manquante ou des lunettes cassées, comme s’ils avaient un pied dans la vie et l’autre dans la mort. La grande croix noire au centre est celle de Baron Samedi, élevée sur la plus ancienne sépulture du cimetière, noircie par la fumée et le sang des sacrifices.
En haut, Grande Brigitte, élégamment vêtue, chevauchant une croix est accueillie par un dieu chrétien (à la main blanche) entrouvrant la masse des nuages du paradis.
Si la figure du zombi a drainé des idées fausses ou fantasmées (créature sanguinaire orientée vers le meurtre et le cannibalisme) dans nombre de films (La nuit des morts vivant, 1968), des séries (Walking Dead, 2010), des bandes-dessinées, des chansons (Thriller de Michael Jackson), etc., elle demeure toujours bien vivante dans les croyances populaires et les pratiques haïtiennes liées au vaudou.
Dans son acception courante, le terme « zombi » utilisé en créole haïtien, ou « zombie » qui correspond au mot américain, désigne un être humain supposé être mort et se relever de son état de cadavre pour revenir errer dans le monde des vivants. En Haïti, il désigne une personne ayant généralement commis un méfait : « Les voleurs, les violeurs et, surtout, ceux qui ont vendu des terres qui ne leur appartiennent pas, un fait très grave en Haïti », précise le Dr Philippe Charlier, médecin légiste, commissaire de l’exposition et directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) à l’université Paris-Saclay. Cet individu, dans un contexte magico-sorcellaire, se trouve jugé, condamné, drogué, enterré vivant, exhumé puis exilé et transformé en esclave par un sorcier ou bokor. Conduite par des sociétés secrètes qui font office de tribunal, la zombification, au travers de l’absorption de toxines puissantes – comme le concombre-zombi ou la tétrodotoxine – et d’un ensevelissement codifié, créerait un homme qui ne serait que l’ombre de lui-même, comme le furent les esclaves. Décrite depuis le début du XXe siècle en Haïti (bien que l’occurrence sémantique soit apparue en 1687 dans le livre français Le Zombi du grand Pérou), la zombification est considérée comme une peine pire que la mort, et est en fait utilisée comme « justice parallèle », indique le Dr Charlier.
Parcours de l’exposition
L’exposition aborde la zombification à travers différents objets liés au rituel. La première partie de l’exposition présente les bases du vaudou haïtien : ses codes généraux, l’organisation des dieux et du culte, les rituels autour des défunts et les divinités liées à la mort (loas), en particulier Baron Samedi et son épouse Grande Brigitte, une « armée de guerriers Bizango » (groupe d’une vingtaine de poupées « fétiches » de la société secrète Bizango participant au jugement de l’accusé, sorte « d’armée des ombres » qui agit la nuit pour accomplir les sortilèges lancés par les adeptes).
Un temple vaudou grandeur nature ainsi qu’un cimetière sont également reconstitués. Dans le temple, on notera la présence d’une colonne centrale couverte de symboles appelée potomitan. Au sol, on remarque des objets rituels d’origine autochtone ou archéologique. Ces objets magiques jouxtent des croix, manifestation visible du syncrétisme religieux entre catholicisme et traditions d’Afrique de l’Ouest, des artefacts archéologiques (céramiques, pierres taillées ou polies, haches, etc.) provenant de populations autochtones Taïnos exprimant une filiation mythique avec les populations caribéennes, d’images pieuses de saints catholiques provenant de Cuba et de paquets congo. Ceux-ci constituent des objets de pouvoir pour le prêtre et les initiés qui sont sous sa garde, et sont déposés sur les autels des temples vaudou. Ils sont utilisés dans les rituels de guérison, mais aussi dans les habitations comme amulettes de protection.
La deuxième partie de l’exposition rassemble plusieurs objets issus de la collection du musée du quai Branly – Jacques Chirac, parmi lesquels des sculptures enclouées et des miroirs repousse-maléfices. De nombreuses religions d’Afrique sub-saharienne considèrent les âmes errantes et les corps morts comme des réalités. Ces entités surnaturelles, et les pratiques qui leur sont liées, sont aussi évoquées à travers les récits de huit individus considérés comme « zombis » depuis le début du XXe siècle. Ils relatent des témoignages qui sont loin d’être uniques et dépassent l’aspect folklorique. Citons le cas de Clairvius Narcisse qui affirme avoir été drogué, enterré et ramené à la vie : né en 1922, « mort » en 1962, il aurait été empoisonné en raison d’un conflit familial. Il réapparaît en 1980 et retrouve sa famille à qui il livre son étrange histoire.
Philippe Charlier a aussi recueilli le témoignage d’un ancien zombi : « Jacques Ravix est un médecin gynécologue qui a été zombifié par sa belle-mère parce qu’il voulait se séparer de sa femme. Il m’a raconté avoir été empoisonné en 1994, sans s’en rendre compte, par des substances posées jour après jour sur les accoudoirs de son fauteuil. On lui aurait notamment administré de la tétrodotoxine, une drogue extraite du foie d’un poisson qu’on appelle le froufrou en Haïti (le tétrodon ou le fugu pour les Japonais). Il m’expliquait qu’il était dans une sorte de coma. Il pouvait continuer à s’habiller et à faire des choses tout en étant totalement inconscient. Il a été repêché alors qu’il était déjà dans un sac mortuaire. Un membre de sa famille a vu qu’il respirait encore. Il a été réanimé et caché pour que le bokor ne puisse pas finir le travail. Pour le protéger, on a même organisé de fausses funérailles ».
La pratique est censée être illégale sur l’île caribéenne, mais Philippe Charlier révèle dans une interview à France Info qu’il y aurait « plusieurs dizaines de milliers de zombis dans ce pays et [qu]’on s’attend à une augmentation du fait des troubles actuels liés à la violence des gangs parce qu’ils créent de « mauvais morts », des gens assassinés qui n’ont pas eu les rituels funéraires ».
L’exposition développe un propos pédagogique qui permet de mieux comprendre cette pratique, d’explorer ses origines et la complexité du phénomène des zombis au sein du vaudou haïtien, tout en questionnant une réalité anthropologique socialement reconnue. Elle se termine par des extraits de films du XXe siècle sur les zombies, projetés dans une salle à part.
1 Les loas rassemblent une multitude de divinités et d’esprits, pouvant entrer en communication avec les humains en les chevauchant lors des cérémonies religieuses. Ils couvrent l’ensemble des forces et créations de la nature. Nombre d’entre eux ont un double sous la forme d’un saint du catholicisme romain.
Exposition « Zombis. La mort n’est pas une fin ? », du 8 octobre 2024 au 16 février 2025, musée du Quai Branly-Jacques Chirac, 37 Quai Jacques Chirac, 75007 Paris.
Texte et Photos (hors mentions) : Brigitte Postel