Les géoglyphes de Nazca, appelés communément lignes de Nazca, font partie du patrimoine mondial depuis 1994. Ce sont des lignes parfois longues de plusieurs kilomètres, des « dessins » géométriques et d’imposantes figures mesurant jusqu’à 200 mètres de long, tracées sur le sol entre les villes de Palpa et Nazca, à 400 km au Sud de Lima. Depuis les premières découvertes dans les années 1930, les chercheurs en dénombrent toujours plus chaque année. Soit quelque 360 à ce jour sur une zone de 450 km2.

Nazca. Vue du colibri. Bjarte Sorensen.
Nazca. Vue du colibri. © Bjarte Sorensen.

Les géoglyphes sont concentrés dans les pampas de San José et d’Atarco, une région désertique de la côte sud du Pérou. « Ils marquent aussi les mesetas (plateaux) de Palpa et les flancs des collines qui longent le rio de Nazca. Le choix de ces lieux n’est pas dû au hasard. Ce sont des lieux sacrés », explique Aïcha Bachir Bacha, archéologue à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. « Les pampas bordées au nord et au sud par des rios qui se rejoignent forment de grands tinkuy (1). Le Rio Ingenio au nord et le Rio Nazca au sud se rejoignent pour donner naissance à un grand tinkuy qui délimite un terrain sacré au sein duquel sont inscrits des géoglyphes. » (2)

Nazca. Géoglyphe dit du bébé condor. Max Berger.
Nazca. Géoglyphe dit du bébé condor. © Max Berger.

Tracés en déplaçant les petites pierres ferreuses de couleur sombre accumulées à la surface du désert pour laisser à nu la terre sous-jacente (du gypse de couleur claire), ces géoglyphes se conservent relativement bien depuis plus de 2000 ans, grâce à une absence quasi totale de précipitations et d’érosion éolienne. « La technique employée par les Nazca pour réaliser ces dessins est à la fois simple et ingénieuse : il leur a suffi de racler le sol. En effet, celui-ci se compose, sous une couche superficielle sombre et graveleuse, d’une terre argileuse beaucoup plus claire. Les déblais sombres et caillouteux étaient simplement repoussés de part et d’autre du tracé où ils formaient un talus d’environ trente centimètres de haut. À cet ensemble de dessins gravés en intaille, s’ajoutent quelques-uns en relief et d’autres, beaucoup plus anciens, incisés dans le flanc des montagnes », détaille l’écrivaine Parisina Malatesta dans une lettre de l’Unesco consacrée à Nazca. (3)

Des motifs par centaines

Nazca. Géoglyphe en forme de main. © Psamathe.
Nazca. Géoglyphe en forme de main. © Psamathe.

On estime que les glyphes ont été créés par la culture Nazca entre 200 av. J.-C. et 700 ap. J.-C. Et aussi, dans plusieurs cas, par leurs prédécesseurs, les Paracas, des agriculteurs ayant vécu dans cette même région entre 800 av. J.C et 200 après J.-C. Ils comprennent des centaines de figures individuelles, allant de simples lignes, trapèzes, spirales, etc. à des représentations animales (colibri stylisé, araignée, singe, orque), des végétaux ou des figures biomorphes (Les dessins biomorphes sont des dessins d’animaux ou de végétaux, c’est-à-dire représentant une espèce biologique). Certaines de ces représentations « se retrouvent aussi sur les céramiques et les textiles attribués au Nazca ancien (50 av. J.-C. 350 ap. J.-C.). C’est pourquoi, il est admis que les géoglyphes figuratifs sont plus anciens que les lignes. Ces dernières ont été assignées au Nazca moyen (350-450 ap. J.-C.) et au Nazca tardif (450-650 ap. J.-C.) », détaille Aïcha Bachir Bacha.

Nazca. Géoglyphe de singe. Nazca. Géoglyphe en forme de main. © Diego Delso.
Nazca. Géoglyphe de singe. Nazca. © Diego Delso.

Peu visibles à l’œil nu depuis le sol à cause de leur gigantisme, et aussi de l’érosion qui en efface certains au fil des ans, ces signes – certains sont visibles depuis les collines – avaient été mentionnés dès le XVIe siècle par le chroniqueur et conquistador espagnol Cieza de Leon dans son ouvrage « Crónicas del Perú ».
Manuel Toribio Mejía Xesspe (1896-1983), un archéologue péruvien, est le premier à étudier les lignes en 1926. Mais c’est surtout à partir des années 1930, lorsque les premiers pilotes militaires survolent le Pérou, que le public en prend connaissance. Selon Toribio Mejía Xesspe, les lignes correspondraient à un système de chemins sacrés empruntés lors de cérémonies et de procession. Et son hypothèse est loin d’être fantaisiste.

Interprétations baroques et fantaisistes

Nazca. Géoglyphe de chien. Nazca. Géoglyphe de singe. Nazca. Géoglyphe en forme de main. © Psamathe.
Nazca. Géoglyphe de chien. © Psamathe.


De nombreuses théories ont été avancées pour donner un sens à ces lignes mystérieuses, dont certaines assez exotiques : calendriers solaires, lieux sacrificiels, moyens de communications avec les extraterrestres ou pistes d’atterrissage pour des vaisseaux spatiaux, etc.
L’historien américain Paul Kosok (1869-1959), pense d’abord, en 1939, qu’ils font partie d’un système d’irrigation, puis il émet une autre hypothèse ; il observe les lignes depuis un avion le 22 juin 1941, au lendemain du solstice d’hiver, et constate que le soleil couchant est directement aligné avec une longue ligne. C’est ainsi que le professeur surnomme cette bande désertique le « plus grand livre d’astronomie au monde » et émet l’hypothèse que ces lignes ont été tracées à des fins astronomiques.
Maria Reiche (1903-1998), mathématicienne et archéologue d’origine allemande, poursuit le travail de Kosok. Elle va consacrer sa vie à étudier le site et à faire pression pour sa préservation. Selon elle, « les peuples anciens ont dessiné des géoglyphes des constellations les plus liées à l’eau » et conclut qu’il s’agissait d’un immense calendrier astronomique et que certains de ces croquis d’animaux étaient inspirés de groupements d’étoiles dans le ciel nocturne. Cependant, en 1967, l’astronome britannique Gerald Stanley Hawkins (1928-2003), connu pour son travail en archéoastronomie, notamment sur les alignements de Stonehenge, étudie ces lignes avec l’aide d’un ordinateur. Et ne trouve aucune corrélation entre les changements des corps célestes et les dessins des lignes de Nazca.

Une explication religieuse ?

Nazca. Géoglyphe rassemblant différentes figures. Wojcieh Kocot.
Nazca. Géoglyphe rassemblant différentes figures. © Wojcieh Kocot.


Selon d’autres chercheurs telle Maria Rostworowski, (1915-2016), ethno-historienne péruvienne spécialisée dans l’histoire de l’Empire Inca, les grandes figures ont été conçues pour être observées depuis le ciel, et sans doute étaient-elles destinées au dieu Kon, principale divinité des Paracas et des Nazca. Les mythes relatent que ce dieu possède la capacité de voler, comme on peut le voir sur les céramiques et les textiles Nazca, où il est représenté.
Johan Reinhard, anthropologue et explorateur National Geographic, en donne aussi une interprétation religieuse. « Vraisemblablement la plupart des lignes ne sont pas dirigées vers un point situé sur l’horizon géographique ou céleste, mais plutôt en direction de lieux où étaient pratiqués des rituels afin de demander de la pluie et de bonnes récoltes », écrit-il dans son livre The Nazca Lines: A New Perspective on their Origin and Meanings.

L’IA à la rescousse

Nazca. Géoglyphe de géant alias l'astronaute. Psamathe.
Nazca. Géoglyphe de géant alias l’astronaute. © Psamathe.


L’équipe de l’université de Yamagata au Japon, et l’archéologue péruvien Jorge Olano travaillent depuis 2004 à recenser les géoglyphes monumentaux de Nazca. Dirigés par le professeur Masato Sakai, les archéologues ont mené des recherches sur le terrain pour étudier la distribution des géoglyphes en utilisant l’imagerie satellite, la photographie aérienne, le Lidar à balayage aéroporté et la photographie par drone. Ils ont découvert, en 2022, 168 nouveaux géoglyphes représentant des humains, des chats, des orques, des oiseaux, des camélidés et des serpents et un géoglyphe « paire de jambes », le plus grand des géoglyphes de Nazca découverts avec le nouveau système d’intelligence artificielle. L’étude conjointe de l’Institut de Nazca de l’Université de Yamagata et d’IBM Japan, Ltd. a été publiée dans la revue académique internationale « Journal of Archaeological Science ». (4)

Nazca. Géoglyphe de fleur. Fabian65.
Nazca. Géoglyphe de fleur. © Fabian65.


Selon Masato Sakai, les glyphes sont en fait de deux types différents. L’équipe a identifié deux types de figures distinctes. Les premières sont plus grandes et ont la forme d’animaux. Sur ces sites, ils ont trouvé des poteries brisées, ce qui les a amenés à penser qu’il s’agissait de zones rituelles et cérémonielles. Le second groupe de figures est plus petit et se trouve près des chemins ou sur des pentes inclinées. Ces géoglyphes sont visibles au niveau du sol, alors que les figures plus grandes ne peuvent être vues dans leur intégralité que d’en haut. En raison de leur emplacement, les chercheurs ont déterminé qu’il s’agissait probablement de balises de sentier ou de repères.
Avec l’aide de l’IA, les chercheurs prévoient de créer une vaste carte des géoglyphes des déserts de Nazca et de Pampa. En collaboration avec le ministère péruvien de la culture, ces nouvelles informations contribueront à protéger ces sites patrimoniaux importants des futurs projets de construction liés à l’expansion des zones urbaines. Par ailleurs, le succès de la technologie de l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives en matière de recherche archéologique dans la région. La découverte et la préservation de ces anciennes merveilles permettront de mieux comprendre ces formes et ceux qui les ont gravées.
Il semble donc que les glyphes existants soient en fait bien plus nombreux qu’on ne l’imaginait jusqu’ici. Avec les nouveaux moyens technologiques, il ne fait aucun doute que notre compréhension des lignes de Nazca va continuer d’évoluer.

Quels sont les risques d’érosion et/ou de destruction pour les géoglyphes de Nazca ?

Nazca. Vue aérienne de lignes dans le désert. Diego Delso.
Nazca. Vue aérienne de lignes dans le désert. © Diego Delso.

Les géoglyphes de Nazca sont globalement restés intacts au cours des millénaires en raison du climat aride. En fait, la rareté des pluies limite l’érosion et le couvert végétal mais « Des torrents généralement à sec peuvent parfois couler à la surface de ce plateau lors d’évènements el Niño particulièrement vigoureux et l’éroder légèrement » comme expliqué dans cet article (https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/Img659-2019-12-09.xml). Dans certains endroits « quelques lits de ruisseaux recoupent et effacent les géoglyphes, en particulier les ruisseaux temporaires dont le lit est tapissé de cailloux et sable clairs. De l’eau a assez coulé dans ces quelques lits depuis 2000 ans pour, localement, effacer-éroder-recouvrir les géoglyphes. » Par exemple, en 2009, de fortes averses s’écoulant de la route panaméricaine – une importante autoroute qui relie presque tous les pays des Amériques à la côte pacifique et traverse la zone de Nazca – ont déposé du sable et de l’argile sur trois doigts du géoglyphe en forme de main.
Par ailleurs, cette autoroute n’est pas équipée de garde-corps ou de barrières pour protéger les lignes de la destruction humaine. Au-delà des dommages causés par la pollution liée aux gaz d’échappement, il y a ceux causés par les conducteurs imprudents ou indélicats, ceux qui prétextent une « urgence mécanique », comme l’a fait récemment le conducteur d’un camion qui a détruit l’une des images. Ou ceux qui déchargent leurs déchets dans cette zone le long de la Panaméricaine. Impossible de tout surveiller sur un site aussi important et ce ne sont pas les quelques panneaux d’avertissement qui suffisent. Sans compter les chercheurs d’or illégaux qui utilisent de la dynamite !

  1. Tinkuy en quechua signifie : rencontre, union de deux choses, de deux êtres, mais aussi un combat rituel. 
  2. https://archam.cnrs.fr/les-geoglyphes-de-nazca-une-symbolique-inscrite-dans-le-desert-peruvien/
  3. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000111124_fre
  4. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305440323000559?via%3Dihub

Voir l’interview de l’archéologue péruvien Jorge Olano https://universvoyage.com/jorge-olano-un-archeologue-a-nazca/

Texte : Brigitte Postel

Photo d’ouverture : Géoglyphe d’araignée © Psamathe/Commons

Se renseigner : https://www.peru.travel/fr