Le famadihana, ou retournement des morts, est une coutume funéraire que l’on rencontre sur les hauts plateaux de Madagascar. C’est un élément important du culte des ancêtres. Selon les familles et l’argent dont elles disposent, ce retournement peut avoir lieu plusieurs fois après l’enterrement. En théorie, le retournement a lieu tous les sept ans, à moins qu’entre temps, un défunt ne vienne visiter un proche en songe pour lui demander de s’occuper de lui.

À Madagascar, les morts sont toujours vivants

Madagascar. Famadihana ou cérémonie du retournement des morts. Les défunts sont promenés dans le village.


« Dès son plus jeune âge, le Malgache côtoie la mort : il participe à la veillée mortuaire qui dure parfois plusieurs jours et plusieurs nuits. La mort est une réalité de la vie. C’est quelque chose de naturel qui ne l’effraie point et il ne lui vient pas à l’idée de quitter la chambre où repose le mort », avertit Noromalala Martinet, qui a publié un ouvrage (1) sur ce sujet et a organisé le retournement des morts de ses parents. Et d’ajouter : « Il est vrai qu’avec la misère et les maladies, sans moyens de se soigner, la mort rôde partout et n’épargne personne. » Certes, la mort d’un être cher est vécue comme un moment douloureux pour les vivants, mais en même temps comme une heureuse perspective pour le défunt ou la défunte qui va devenir un Razana, un Ancêtre. Pour les Malgaches la notion de mort diffère radicalement de celle vécue en Occident. Ni fin, ni rupture, elle est le passage à une autre vie. Ce changement de vie donne aux Ancêtres des pouvoirs, celui d’interpeller les vivants et de communiquer avec eux.

Des rituels à respecter

Madagascar. Famadihana. Musiciens participant à la cérémonie.


« En 1984, j’ai entendu clairement mes parents m’interpeller, d’où ma ferme décision de revenir au pays de mes Ancêtres pour leur offrir, comme promis de leur vivant, de nouveaux linceuls, se souvient Noromalala. Dans le culte des morts des Malgaches, il y a quelque chose d’universel : retrouver ses racines en renouant, en resserrant les liens avec les siens. »
Mais avant la cérémonie, il faut aller consulter le Mpanandro, personnage à la fois devin, astrologue et medium. C’est lui qui va présider toute la cérémonie de l’exhumation. Lui seul qui dit le jour et l’heure de l’ouverture du tombeau. Les ruptures d’interdits exposant les contrevenants à des représailles des Razana.

Le jour choisi, le drapeau malgache flotte au-dessus du tombeau. Il symbolise l’amour de la terre des Ancêtres et les vivants entonnent, à la demande du pasteur (ou du curé), présent sur les lieux pour le culte religieux : « Azo mba manadino ny Tanindrazanao ». (N’oublie jamais ta patrie, patrie qui se dit en malgache terre des ancêtres). Et toute l’assistance de promettre : « Tsara izao, Tsara izao, Eny tsy ho adinonay ny Tanindrazanay ». (Oui, Oui, Nous n’oublierons jamais notre patrie). Ensuite, il faut faire un zoro, c’est-à-dire le sacrifice d’un zébu et d’un porc, dont la viande sera partagée en parts égales entre toutes les familles du village. Les Ancêtres rappellent ainsi aux vivants qu’ils sont tous égaux devant la mort. Le zoro symbolise aussi la fraternité, la tolérance entre les vivants.

Madagascar. Famadihana.
Madagascar. Famadihana. Danses et chants en l’honneur des ancêtres.

Cette cérémonie est une fête joyeuse pour les familles et pour les gens du village.  On ne doit pas pleurer pendant l’exhumation. On doit être joyeux. Joie d’être vivant, joie de revoir les siens. Des musiciens et des danseurs sont conviés pour animer la journée. Tout le monde danse et chante en l’honneur des ancêtres. Chez les Merina, les danseurs Mpilalao sont revêtus de costumes rutilants. Et rivalisent de discours ou kabary, de vocalises, de jeux de ventres, de mains, de roulement d’épaules. Tandis que les hommes ne lésinent pas sur les rasades de toaka gasy, le rhum malgache. Tout cela a un coût et il n’est pas rare que les familles se ruinent afin que leurs ancêtres dorment en paix.

Ouverture du tombeau

Madagascar. Famadihana. Les corps sortis des tombes sont enveloppés dans de nouveaux linceuls et roulés dans une nouvelle natte.


Le chef du village veille au bon déroulement de la cérémonie et au respect des rituels. Le tombeau de la famille de Noromalala ne peut s’ouvrir que de l’intérieur. Des hommes choisis par le maître de cérémonie montent sur la « maison des morts » pour desceller quelques pierres afin de se glisser dans l’anfractuosité et pénétrer dans ce lieu de repos éternel. Et voici la lourde porte en pierre qui s’ouvre. « Mes frères aînés descendent dans le tombeau en suivant le gardien du lieu, puis mes sœurs, mon petit frère et moi fermons la marche. Toute la famille est là. Le gardien du tombeau, un membre de la famille, s’assure qu’aucun étranger à la famille n’entre. Il procède alors à l’allumage des bougies que chacun de nous tient à la main. Et nos chers disparus apparaissent, là devant nous ». Les corps reposent sur des dalles de pierre. Le gardien du tombeau identifie l’emplacement de chacun. « Que chacun de vous s’en souvienne » dit-il. « Puis, avec solennité, il continue à nous présenter nos Ancêtres. Les grands-parents et arrière-grands-parents occupent l’aile gauche du tombeau. En indiquant la place occupée par chacun des Ancêtres, il procède en fait à un appel pour s’assurer que tous nos morts sont là, qu’il n’en manque aucun. »

Madagascar. Famadihana. Le corps du défunt sort du tombeau, porté par la famille.


Les corps sont ensuite sortis du tombeau, enroulés chacun dans une belle natte neuve en roseau tissé. « Il est ensuite procédé au renouvellement des linceuls de soie que l’on rajoute par-dessus les anciens. Là encore, les morts sont toujours vivants, car même la mort ne les sépare pas. On les pose délicatement sur nos genoux. C’est l’heure des retrouvailles, on les touche avec tendresse, on les caresse, on leur parle, on leur dit qu’ils n’auront plus froid, on leur présente nos enfants et petits-enfants nés depuis leur décès en leur demandant de les protéger et de les bénir. Je me rappelle avoir eu mal et avoir versé de chaudes larmes. Maman dans cette natte, je ne pouvais l’accepter. Je voulais encore l’entendre chanter, la voir dans chaque coin et recoin de notre case. Je ne sais plus qui est venu me rappeler à l’ordre : on ne pleure pas pendant l’exhumation ».  Un autel a été dressé à l’extérieur du tombeau à l’angle nord-ouest. Les frères et sœurs se rassemblent autour pour un moment de recueillement. Il s’agit de marquer le respect porté aux défunts et de leur demander protection et bénédiction. Les invités viennent les saluer à leur tour. Puis, conformément à la tradition, le couple est réuni dans le même linceul pour l’éternité. On leur fait faire ensuite une ultime promenade, portés sur les épaules de leurs enfants. On les fait tourner, au son de la musique, sept fois autour du tombeau. Sept, chiffre sacré et rituel, qui permet aux morts d’avoir le temps de retrouver les lieux familiers où ils ont vécu. Avant que la lourde porte de pierre se referme sur eux, pour les empêcher d’en ressortir sans y être invités au cours d’un prochain famadihana.

Texte : Brigitte Postel
Photos : Alain Martinet

Ce reportage est paru dans Natives n° 12.

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Us et Coutumes de Madagascar
Noromalala Martinet
Editions de la Grosse Tour. 04 67 29 61 65