Il est rare de voir les jardins du Château de Versailles sous la neige. Les statues de pierre ou de marbre emmitouflées d’une housse verte, les frondaisons ployant sous le poids des flocons réunis, les topiaires maquillés de blanc. Balade dans cet écrin tant aimé du Roi-Soleil qui s’est imposé comme le chef d’œuvre de l’art français du XVIIe siècle.

Château de Versailles. Parterre d'eau Nord. Nymphe et enfant aux oiseaux. Bronze de Philippe Magnier coulé par les Frères Keller.
Château de Versailles. Parterre d’eau. Nymphe et enfant aux oiseaux. Bronze de Philippe Magnier coulé par les Frères Keller.

Si les jardins de Versailles sont devenus le symbole du raffinement et de la perfection grâce au talent d’André Le Nôtre (1613-1700) et de ses jardiniers, ils sont avant tout nés de l’intention de Louis XIV. À travers l’organisation de l’espace, le choix des statues et des Bassins, le dessin des Bosquets, le Roi a créé une œuvre à la mesure de ses ambitions politiques, esthétiques et philosophiques.

Château de Versailles. Charmilles et topiaires vêtues de neige.
Château de Versailles. Charmilles et topiaires vêtues de neige.

Dès que les flocons recouvrent cet écrin de ouate, le décor se métamorphose pour laisser place à un théâtre vivant, animé de bronzes émergeant de leur gangue blanche. Les ifs deviennent les gardiens des larges esplanades et les parterres d’eau, des miroirs glacés de lumière. Dans ce temple émaillé de symboles, dont certains dissimulés sous ce manteau virginal, les charmilles qui bordent les allées tendent leurs bras gantés de blanc et les arbres composent des cathédrales éphémères.

Château de Versailles. Parterre Nord sous la neige.
Château de Versailles. Parterre Nord sous la neige.

Le Palais du Roi Soleil

Château de Versailles. Parterre d'eau. Bassin Sud. Allégorie de la Loire, figure de vieillard-fleuve allongé tenant une corne d’abondance, accompagné d’un Amour portant un coquillage. Sculpteur Thomas Regnaudin (1622-1706). Fondu par les Frères Keller.
Château de Versailles. Parterre d’eau. Bassin Sud. Allégorie de la Loire, figure de vieillard-fleuve allongé tenant une corne d’abondance, accompagné d’un Amour portant un coquillage. Sculpteur Thomas Regnaudin (1622-1706). Fondu par les Frères Keller.

Nous pourrions nous croire dans le palais de la Reine des Neiges. Mais nous sommes dans celui du Roi Soleil, Louis XIV – Apollon – tel qu’il apparaît dans les ballets du début de son règne. Un joyau intimement lié à la volonté d’un roi, Louis XIV, et au talent de son architecte-jardinier, André Le Nôtre. Après la splendide fête de Vaux donnée au Roi par Fouquet le 17 août 1661, Louis XIV, piqué par la jalousie, voudra des jardins encore plus somptueux que ceux du Surintendant des Finances. Les travaux, entrepris en même temps que ceux du palais, vont durer une quarantaine d’années.
Construits selon un plan rigoureux, les jardins sont ordonnancés autour de deux grands axes – l’axe Nord-Sud du bassin de Neptune à la Pièce d’eau des Suisses – et l’axe Est-Ouest, de la façade de la Galerie des glaces jusqu’à l’extrémité du Grand Canal en forme de Croix.

Des symboles cachés

Château de Versailles. Un facétieux fantôme blanc enserre une statue protégée du gel hivernal.
Château de Versailles. Un facétieux fantôme blanc enlace une statue protégée du gel hivernal.

L’Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna, publiée à Venise en 1499, présida sans doute à l’élaboration première des Jardins de Versailles. Mais le résultat final dépasse le simple décor inspiré de l’art antique et de l’amour, ou la réminiscence d’une Antiquité à jamais disparue, signifiée dans le songe de Poliphile par l’omniprésence de vestiges. Or, à Versailles, point de ruines. Bien au contraire. Le Roi a mis dans ses Jardins tout son génie et celui des érudits de l’époque pour en concevoir la symbolique qu’il défend. Hommes de lettres et de sciences, philosophes, artistes, théologiens, tous ont contribué à cette réalisation qui ne s’explique que par son but : la vie spirituelle à laquelle le Roi nous convie à travers des messages ésotériques disséminés dans les jardins.

De Bassins en Bosquets

Château de Versailles. Couché parmi les grappes de raisins, le dieu Bacchus est entouré de satyres , le regard tourné vers le sol.
Château de Versailles. Bassin de l’Automne. Couché parmi les grappes de raisins, le dieu Bacchus est entouré de satyres , le regard tourné vers le sol.

André Le Nôtre ne travaille pas seul pour aménager ce site d’une superficie de plus de mille hectares alors. Jean-Baptiste Colbert, Surintendant des bâtiments du Roi, de 1664 à 1683, dirige le chantier. Dès 1661 sont réalisés la première Allée d’Eau, les parterres du Nord et du Midi, le parterre d’Amour, l’Orangerie de Le Vau.

Château de Versailles. Parterre de l'Orangerie. Composé de quatre pièces de gazon et d’un bassin circulaire, il accueille en été 1055 arbres en caisses,omposé de quatre parties et d’un bassin circulaire, il accueille en été plus d'un millier d'arbres en caisses,(orangers, citronniers, grenadiers).
Château de Versailles. Parterre de l’Orangerie. Composé de quatre parties et d’un bassin circulaire, il accueille en été plus d’un millier d’arbres en caisses (orangers, citronniers, grenadiers).

Les Bosquets apparaissent en 1663 : Bosquets du Dauphin et de la Girandole, puis en 1666, pour l’éducation des jeunes princes : le Labyrinthe avec ses 39 fontaines inspirées des fables d’Esope (aujourd’hui disparu, il a laissé la place au Bosquet de la Reine). Les Bosquets situés au Midi reçoivent leurs correspondants au nord : Théâtre d’Eau et Bosquet de l’Etoile. La campagne de réalisation des Bosquets se poursuit sur une vingtaine d’années : Bosquets du Marais 1671, Pavillon d’Eau et Berceau qui deviendront Arc de Triomphe et les Trois Fontaines.

Château de Versailles. Bassin de l'Obélisque. Anciennement Salle du Conseil ou des Festins,  ce bassin héberge en son centre une sculpture en bronze de roseaux balancés par le vent.
Château de Versailles. Bassin de l’Obélisque. Anciennement Salle du Conseil ou des Festins, ce bassin héberge en son centre une sculpture en bronze de roseaux balancés par le vent.

En 1674 sont achevés la Salle du Festin, le Bosquet de l’Encelade – le géant foudroyé – et celui de la Renommée. Ils ont pour symétriques : la Galerie d’Eau, le Bosquet des Antiques et le Bosquet des Sources.
En 1683 la mort de Colbert et l’importance prise par Louvois entraînent la disgrâce de Le Brun remplacé par le favori du ministre : Jules Hardouin-Mansart, à la grande fureur de Le Nôtre. Le Bosquet de la Renommée est remplacé par les Dômes, le Bosquet des Sources cède la place à la Colonnade d’Hardouin-Mansart vivement critiquée par le Nôtre.

Château de Versailles. Bassin du Printemps. Sur une île ornée de guirlandes de neige à défaut des fleurs cachées, Flore apparaît sous sa toque blanche entourée d'Enfants ailés. Elle regarde dans la direction du lever du soleil au jour de l'équinoxe de printemps.
Château de Versailles. Bassin du Printemps. Sur une île ornée de guirlandes de neige à défaut des fleurs cachées, Flore apparaît sous sa toque blanche entourée d’Enfants ailés. Elle regarde dans la direction du lever du soleil au jour de l’équinoxe de printemps.

Jusqu’à sa mort le 1er septembre 1715, après 54 ans de règne, ce Roi-jardinier ne cessera de prodiguer les soins les plus attentifs à son œuvre que l’on peut lire comme son testament spirituel.

Un testament à déchiffrer

Château de Versailles. Vue depuis le parterre sud de Latone.
Château de Versailles. Vue depuis le parterre sud de Latone.

Que recèlent ces jardins de si précieux ? Que dévoilent-t-ils à celui qui chemine en ces lieux ? Ici, l’esthétique le dispute à la substance, les mythes et les légendes à l’histoire. Les allégories, les figures mythologiques, les symboles et les fontaines bâtissent un dialogue assez mystérieux, qui suscite la curiosité et nous incite à nous interroger sur les intentions de son créateur.

Château de Versailles. Parterre d'eau. Une nymphe voluptueusement accoudée sur un poisson tend une guirlande de fleurs, de feuilles et de fruits.
Château de Versailles. Parterre d’eau. Une nymphe voluptueusement accoudée sur un poisson tend une guirlande de fleurs, de feuilles et de fruits.

Pourquoi ces statues, toutes rigoureusement alignées, sont-elles néanmoins placées dans un ordre apparemment illogique? Pourquoi le parcours du soleil y est-il représenté inversé, c’est-à-dire orienté d’Ouest en Est ? Et pour quelles raisons ces jardins sont-ils structurés en paliers qui s’étagent de manière pyramidale jusqu’au sommet où se trouve le château ? Ésotériques, hermétiques, alchimiques, témoins d’un temps où l’homme se voulait en contact direct avec les mystères de l’univers, les symboles attendent d’être déchiffrés. Voici quelques exemples avec les Bassins de Neptune, Latone et Apollon.

Le Bassin de Neptune

Château de Versailles. Bassin de Neptune. « Triomphe de Neptune et Amphitrite », réalisé par Adam Lambert-Sigisbert sous la direction de Gabriel.
Château de Versailles. Bassin de Neptune. « Triomphe de Neptune et Amphitrite », réalisé par Adam Lambert-Sigisbert sous la direction de Gabriel.

Dieu de l’eau, Neptune incarne la puissance des océans. Lorsqu’il utilise son trident, les eaux se déchaînent, formant de gigantesques vagues qui emportent tout sur leur passage. Ce Bassin, le plus grand de Versailles, symbolise-t-il les forces belliqueuses et destructrices auquel tout individu est confronté ?

Château de Versailles. Neptune et Amphitrite (détail).
Château de Versailles. Neptune et Amphitrite (détail).

Le Bassin de Latone

Château de Versailles. Situé au centre géométrique des jardins, le Bassin de Latone fut construit en 1668 par André le Nôtre et modifié par la suite en 1670 par François Mansart qui lui donna sa forme actuelle pyramidale.
Château de Versailles. Situé au centre géométrique des jardins, le Bassin de Latone fut construit en 1668 par André le Nôtre et modifié par la suite en 1670 par François Mansart qui lui donna sa forme actuelle pyramidale.

Descendons la première volée des degrés de Latone. De ce point de vue si cher au Roi, on distingue le bassin d’Apollon, le Grand Canal et le parc au loin.

Château de Versailles. Vue sur le bassin de Latone et le grand canal. C’est la grande perspective que le maître jardinier André Le Nôtre (1613-1700) a ouverte sur l’infini pour répondre au désir royal qui ne pouvait « souffrir les vues bornées ».
Château de Versailles. Vue sur le bassin de Latone et le grand canal. C’est la grande perspective que le maître jardinier André Le Nôtre (1613-1700) a ouverte sur l’infini pour répondre au désir royal qui ne pouvait « souffrir les vues bornées ».

Ce parc, c’est un peu la nature à l’état brut, presque sauvage, les forêts où le Roi se plaisait à forcer le cerf. Le monde profane en quelque sorte. Alors que les jardins et les Bosquets sont ordonnancés et subtilement travaillés par l’homme qui décide de leur composition. C’est « le chaos débrouillé », note Jean Erceau dans son livre Les jardins initiatiques du château de Versailles.

Château de Versailles. Tandis que les bosquets ordonnent la circulation dans les jardins, des espaces naturels ont été préservés.
Château de Versailles. Tandis que les bosquets ordonnent la circulation dans les jardins, des espaces naturels ont été préservés.

Au centre du bassin, Latone et ses enfants : Apollon et Diane. Latone, une des épouses de Jupiter tend le bras comme pour implorer. L’épisode illustré par cette Fontaine est tiré des Métamorphoses d’Ovide. Promenant ses enfants sur la Terre où Junon, l’épouse officielle l’a exilée par jalousie, Latone est surprise par la nuit tombante dans le village de Lycie. Elle demande aux paysans de l’aider à nourrir ses enfants, mais ils se détournent d’elle. Alors qu’elle se rafraîchit dans la rivière, les paysans viennent agiter l’eau avec des branchages, ce qui soulève la vase et l’empêche de donner à boire à ses enfants. Elle implore alors Jupiter qui en réponse métamorphose les paysans en crapauds et en grenouilles.
Là, le message est triple. En apparence, il symbolise la menace de ce qui attendrait les courtisans s’il leur prenait l’idée de se révolter contre le pouvoir royal. On peut aussi considérer que c’est un appel à se métamorphoser, à s’ouvrir aux autres. Mais en fait, que regarde vraiment Latone depuis l’Est où elle se trouve ? Son fils Apollon – incarnation du soleil, situé à l’Ouest juste dans le bassin situé devant le Grand Canal ? Ou bien ce Trianon dont la recherche permet aux philosophes hermétiques de se reconnaître et dont le nom est de nature à évoquer les Trois ânes ? L’âne qui fut adopté par les alchimistes comme symbole de la matière brute…

Le Bassin d’Apollon

Château de Versailles. Bassin d'Apollon.
Château de Versailles. Bassin d’Apollon. Tuby exécuta ce groupe monumental entre 1668 et 1670 à la manufacture des Gobelins.

L’œuvre de Tuby a été réalisée d’après un dessin de Le Brun. Inspirée de la légende d’Apollon, dieu du Soleil et emblème de Louis XIV, elle montre le dieu jaillissant de l’onde comme d’un miroir, s’apprêtant à effectuer sa course quotidienne au-dessus de la terre. Il est assis sur son phaéton tiré par quatre chevaux fougueux qu’il maîtrise simplement d’une main et entourés de quatre tritons et de quatre dauphins. À première vue, on pourrait penser qu’il symbolise le Soleil qui s’élance pour sa course diurne. Mais le soleil se déplace d’est en ouest. Et là, il est tourné vers le palais royal, vers l’Est ! Pourquoi Apollon est-il alors lancé dans une course inversée ? Serait-ce pour des raisons esthétiques qu’il aurait été installé ainsi ? Ou bien voudrait-il nous guider vers le domaine des dieux, vers ceux qui ont la connaissance absolue. À chacun de trouver sa réponse.

Château de Versailles. Frondaisons enneigées sur lesquelles veillent les statues emmaillotées, telles des gardiennes du temple.
Château de Versailles. Frondaisons enneigées sur lesquelles veillent les statues emmaillotées, telles des gardiennes du temple.

À Versailles, il faut voir le visible et se rendre sensible à l’invisible. S’en imprégner doucement. Laisser libre cours à ses émotions. Arpenter les jardins encore et encore, pour finir par comprendre, par ressentir. Pour qui sait l’appréhender, le chemin initiatique est inscrit dans les Bosquets, les Fontaines, les allées, les figures mythologiques. Versailles ne vaut que par son invitation au voyage.

Château de Versailles. Bassin de l'Obélisque, bords enneigés.
Château de Versailles. Bassin de l’Obélisque, bords enneigés.

Texte et Photos : Brigitte Postel

Lire
Les jardins initiatiques du château de Versailles, Jean Erceau, Thalia édition, 2008.
Versailles, des jardins vers ailleurs, le Testament secret de Louis XIV, Vincent Beurtheret, A.M.D.G. édition, 1996.