Cuba est multiple, complexe, métisse, hétérogène… et cette réalité est visible partout. Dans la rue, dans la musique, dans les cultes, dans la culture, dans les bâtiments en déshérence. Cheminement entre belles américaines et carrioles à cheval, entre poésie et beauté amère.

Habano : cigares cubains

Santiago de Cuba. Fumeuse de havane.
Santiago de Cuba. Fumeuse de havane.

Nulle part au monde ne pousse un meilleur tabac que celui cultivé à Cuba. Découvert en 1492 par Christophe Colomb et son équipage, le tabac-puro (cigare roulé) était utilisé par les indigènes lors de certains rituels. Cette « feuille indienne » comme l’a nommée José Marti, fondateur du Parti révolutionnaire cubain et apôtre de la lutte pour l’indépendance, est emblématique de l’île. Seulement quelques plantations sont jugées dignes de la production des feuilles qui entreront dans la composition des fameux havanes. Ce sont les sols et les variétés qui vont donner au habano tout son caractère, ses parfums si variés, l’arôme exquis du pur havane, tel le Romeo Y Julieta Churchills inspiré par Sir Winston Churchill.
Pinar del Rio, province occidentale de l’île, comprend plusieurs zones productrices protégées par des appellations d’origine, tels Vuelta Abajo ou San Luis.

Pinar del Rio. Feuilles de tabac encore vertes en début de séchage.
Pinar del Rio. Feuilles de tabac encore vertes en début de séchage.
Pinar del Rio. Dans les plantations ou vegas, chaque feuille est cueillie à la main, puis séchée dans de grands hangars ventilés à l’air libre.
Pinar del Rio. Dans les plantations ou vegas, chaque feuille est cueillie à la main, puis séchée dans de grands hangars ventilés à l’air libre.
Province de Pinar del Rio. Hangar de séchage de tabac.
Province de Pinar del Rio. Hangar de séchage de tabac.
Pinar del Rio. Démonstration de la manière de fumer le cigare sans avaler la fumée.
Pinar del Rio. Démonstration de la manière de fumer le cigare sans avaler la fumée.

Système D

Santiago de Cuba. Taxi collectif.
Santiago de Cuba. Taxi collectif.

À Cuba, rien n’est jamais acquis. La débrouille, l’inventivité, le bricolage, permettent de pallier la pénurie de matériel. Les Cubains ont érigé le rafistolage en un art qui évolue en fonction des besoins. Avec l’embargo américain, il faut faire chaque jour avec moins pour pouvoir se déplacer, aller travailler, ou tout simplement continuer à vivre. Cette contrainte façonne l’état d’esprit des Cubains, leur adaptabilité légendaire. Sans oublier leur sens de l’entraide et du partage.

Cuba. Pot de fleur de récupération.
Cuba. Pot de fleur de récupération.

Cuba. Le pays souffrant de pénuries de carburant, on recourt de plus en plus à la traction animale comme moyen de transport.
Cuba. Le pays souffrant de pénuries de carburant, on recourt de plus en plus à la traction animale comme moyen de transport.
Trinidad. Perchés sur un échafaudage de fortune, ces peintres ont pu récupérer de la peinture pour rénover en partie la façade.
Trinidad. Perchés sur un échafaudage de fortune, ces peintres ont pu récupérer de la peinture pour rénover en partie la façade.

L’effondrement de l’allié vénézuélien pourvoyeur de pétrole et l’embargo renforcé par Donald Trump ont miné pour beaucoup l’espoir d’une vie meilleure amorcée au temps de l’ouverture Obama-Castro.

Voiture reconstituée dans une rue de Trinidad.
Voiture reconstituée dans une rue de Trinidad.

Santeria : un culte d’origine vaudou

La Havane.  Elégguá  debvant d'entrée de la Callejon de Hamel.
La Havane. Elégguá devant d’entrée de la Callejon de Hamel.

Quand les colons esclavagistes ont tenté d’imposer le catholicisme à leurs esclaves africains dès le début de la colonisation espagnole et de leur interdire de pratiquer leur culte, ceux-ci ont dissimulé et protégé leurs croyances en attribuant à chaque divinité du panthéon yoruba un saint catholique. Encore aujourd’hui, cette religion née au Nigeria et au Bénin, a ses adeptes et les saints, los santos, dénommés orishas sont toujours vénérés par les fidèles. Ils se fondent avec les saints de la religion catholique et il est fréquent pour un santero d’arborer une croix et un collier de perles aux couleurs de l’orisha honoré.

Trinidad. Temple de Santeria Yemayá. Yemayá est la déesse des océans et de la maternité chez les Bantous, mère de Changó, dieu guerrier du tonnerre et de la foudre. Cette Vierge noire qui tient un bébé blanc dans ses bras s’identifie avec la Vierge de Regla, un village proche de La Havane.
Trinidad. Temple de Santeria Yemayá. Yemayá est la déesse des océans et de la maternité chez les Bantous, mère de Changó, dieu guerrier du tonnerre et de la foudre. Cette Vierge noire qui tient un bébé blanc dans ses bras s’identifie avec la Vierge de Regla, un village proche de La Havane.

La Santeria (littéralement fraternité des Saints) considère que le nouvel initié renaît et il est donc traité comme un nouveau-né. Durant sept jours il doit demeurer isolé dans une chambre. Au terme de cette semaine, le novice peut sortir mais est soumis pendant un an à certaines règles, par exemple se vêtir entièrement de blanc en permanence.

Trinidad. S’habiller tout en blanc est une exigence pour le santero ou la santera, culte qui gagne chaque jour plus d’adeptes dans l’île.
Trinidad. S’habiller tout en blanc est une exigence pour le santero ou la santera, culte qui gagne chaque jour plus d’adeptes dans l’île.

Elégguá, Elegbá ou Elewua est un Orisha majeur, un dieu qui garde les accès des routes et des carrefours. Il est le messager d’Olofi (Esprit saint). On lui rend hommage au début et à la fin de toute cérémonie de la santeria.

La Havane. On peut rencontrer Elégguá au hasard des rues de La Havane. Sa tête est en pierre dure, incrustée de cauris
On peut rencontrer Elégguá au hasard des rues de La Havane. Sa tête est en pierre dure, incrustée de cauris, ou de peinture blanche les symbolisant.

Street-art d’inspiration afro-cubaine

La Havane. Callejon de Hamel.
La Havane. Callejon de Hamel.

Au cœur du quartier Cayo Hueso à La Havane, l’artiste contemporain Salvador Gonzales Escalona, a décoré une ruelle : le Callejon de Hamel, qui propose à une immersion totale au cœur de représentations et de sculptures inspirées de la santeria. Le dimanche, ce haut-lieu du street-art cubain s’anime aux sons des congas et des tambours, et attire une foule de curieux et de touristes. Mais il est difficile d’apercevoir les danseurs et musiciens, tant la ruelle est bondée.

La Havane. Peinture dans le Callejon de Hamel.
La Havane. Peinture dans le Callejon de Hamel.

Initié dans le culte de Shangô, Salvador a débuté les décors du Callejon en 1990, imaginé comme le premier temple de la culture noire.

La Havane. Callejon de Hamel. Toutes les sculptures ont été réalisées avec du matériel de récupération.
La Havane. Callejon de Hamel. Toutes les sculptures ont été réalisées avec du matériel de récupération.
La Havane. Callejon de Hamel. Shangó est rouge vif et blanc. Dieu du feu et de la guerre, des éclairs et des orages, il s’adonne aux fêtes et aux femmes. Certains chercheurs considèrent la relation à l’orisha comme une identification qui est renforcée par l’initiation.
La Havane. Couple rencontré Callejon de Hamel.
La Havane. Couple rencontré Callejon de Hamel.

Beautés déglinguées

La Havane. Les arbres poussent dans les fissures de ce bâtiment situé dans une rue adjacente à la Calle de Obispo.
La Havane. Les arbres poussent dans les fissures de ce bâtiment situé dans une rue adjacente à la Calle de Obispo.

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982, la Vieille Havane (Habana vieja) est en cours de restauration. Sauf que sur les échafaudages on ne voit aucun ouvrier. Il suffit de s’écarter un peu des rues touristiques pour constater le délabrement de certains logements dont la plupart sont toujours habités. Le cœur historique affiche une misère que l’ouragan Irma de 2017 a accentuée : quelque 30 000 logements détruits en une seule nuit (dont 14 600 totalement), notamment dans les rues adjacentes au Malecón situé en front de mer. Déjà lors de la Révolution, seulement 500 des 3 000 bâtiments de la vieille ville étaient en bon état. En cause : le manque d’investissements publics pendant de longues années, l’absence de ressources des propriétaires et les pénuries récurrentes de matériaux de construction quand ce n’est pas leur coût prohibitif.  

La Havane. Un des nombreux bâtiments en péril jouxte lecélèbre bar Florida où Hemingway venait boire ses daikiri.
La Havane. Un des nombreux bâtiments en péril jouxte le célèbre bar La Florida où Hemingway venait boire ses daiquiri.

Il y a bien quelques places et bâtiments célèbres qui ont été restaurés. Pour le reste, grands hôtels et rues touristiques à part, tous les bâtiments sont dégradés, vieillissants ou en ruine. Les façades de couleurs délavées, aux allures baroques, art déco, néoclassiques, auxquelles s’accrochent les lessives, les plantes, les fils électriques, font certes partie du charme de la ville. Mais on ne peut qu’être touché par la pauvreté qui transpire dans les différents quartiers. La Havane est bien loin d’une ville lisse et aseptisée. C’est une ville attachante, sensuelle, qui demande du temps pour la découvrir. Un condensé entre la vie moderne et celle qui se meurt.

La Havane. Bel immeuble inhabité situé proche du Capitole. Un seul logement est encore occupé.
La Havane. Bel immeuble inhabité situé proche du Capitole. Un seul logement est encore occupé.
La Havane. Immeuble situé à l'entrée de la Callejon de Hamel.
La Havane. Immeuble situé à l’entrée de la Callejon de Hamel.


Texte et Photos : Brigitte Postel