Réputée dans toute l’Egypte pour ses dattes et ses sources, l’oasis de Siwa est considérée comme l’île idyllique de la « Grande Mer de sable ». Difficile d’accès jusqu’à ces dernières années, peu exposée au métissage, Siwa fut pendant longtemps d’un autre monde. Elle est la première et la dernière étape de ce chapelet d’oasis qu’Hérodote appelait « l’archipel des bienheureux. »
Siwa abrite une population berbère connue pour sa farouche résistance aux envahisseurs arabes ou étrangers. Si elle s’ouvre peu à peu, elle ne s’en laisse pas pour autant conter par les rares touristes. Tentant de préserver une identité bien distincte des autres oasis et des traditions d’un autre âge.
On ne découvre pas Siwa par hasard. A 600 km de la vallée du Nil, la belle et farouche oasis égyptienne se laisse longuement espérer. D’où que l’on vienne, il faut avaler la poussière d’un désert irrémédiablement plat et morne, réveillé çà et là par quelques tas de sable caillouteux, perchoirs pour corbeaux faméliques. De Marsa Matruh sur la côte méditerranéenne, on file 350 km au sud-ouest sur une route asphaltée de l’immense désert Libyque. Depuis l’oasis de Bahariya, c’est une longue piste sous contrôle militaire où 7 check points tirent un fonctionnaire endormi de son lit de camp ou de sa partie de dominos.
Puis la palmeraie se dévoile, verte coulure entourée de lacs d’eau salée aux reflets argentés qui nous rappellent que ce désert était il y a quelque millions d’années recouvert par les eaux de la Méditerranée. Un site étrange, dominé par les vestiges de Shali – la ville en berbère – et le Djebel el-Mawta, « la montagne des morts » en arabe.
On est à Siwa, la plus occidentale des oasis égyptiennes et la plus orientale des communautés berbères à s’être aventurée en ces terres il y a environ 10 000 ans. Erigée au tout début du douzième siècle sur la plus haute colline de Siwa, Shali était une forteresse réputée imprenable que les Siwis avaient construite afin de se protéger des tribus arabes belliqueuses. Jusqu’au siècle dernier, elle dressait des remparts de plus de 10 m de haut derrière lesquels s’adossaient des constructions de 4 à 6 étages.
Mais ce sont de rarissimes pluies diluviennes et non les envahisseurs qui détruisirent la cité en 1928. Construites avec un mélange de boue et de concrétions salées, séché au soleil, le karshef, les maisons s’écroulèrent une à une, le sel s’étant dissout en raison des pluies qui tombèrent trois jours durant. Le lieu reste extraordinaire, surtout en éclairage nocturne.
La ville actuelle s’efface devant la citadelle toute de dentelles de boue séchée, ocre ou blanche, découpées sur le ciel. Du haut de la colline, le regard embrasse toute l’oasis et les lacs salés mais ne vaut pas la vue qu’on a depuis le sommet du Djebel el-Mawta.
Ce vaste promontoire est truffé de centaines de tombes de la XXVIe dynastie et des époques ptolémaïques et romaines. Quatre d’entre elles se visitent dont celle de Si-Amon, riche oasien d’origine grecque ; elle est ornée de scènes mythiques représentant le panthéon égyptien.
Les Siwis ne s’aventurent jamais sur cette montagne la nuit tombée car ils croient l’endroit peuplé d’esprits. Ces craintes ne les ont toutefois pas empêchés d’utiliser les tombes comme abris lors des bombardements italiens de 1940.
Une île de vie en bordure de la Grande Mer de sable
Dans cette vaste dépression située à 18m au-dessous du niveau de la mer, près de 300 sources irriguent de superbes jardins plantés de palmiers, d’oliviers, de citronniers et d’orangers et font vivre environ 30 000 personnes.
Certaines de ces sources sont réputées pour leurs beautés ou leurs vertus comme celle de Cléopâtre (Gubra) ou celle de Tamussi où les jeunes filles viennent se baigner avant leur nuit de noce. D’autres pour leur pureté comme la source d’Abou Shrouf qui débite quotidiennement 20 000 m3 d’eau et s’est vue adjoindre une usine d’embouteillage. Bien que les pluies soient très rares (l’équivalent de 3 jours en 25 ans), l’eau coule ici en abondance. Ce qui a permis à la population de vivre en autarcie pendant des siècles.
Quasi isolée avant la construction de la route et l’installation de l’électricité en 1986, Siwa n’en était pas moins, en des temps éloignés, une étape obligée pour les caravanes reliant les oasis du désert Libyque à la Méditerranée ou une destination pour les pèlerins venus consulter l’oracle d’Amon, dieu-bélier assimilé à Amon l’Égyptien et à Zeus. Tel Alexandre Le Grand que l’oracle « reconnut » en 331 avant J.C. en tant que fils du dieu sur terre, et par conséquent maître « légitime » de l’Egypte. L’historien grec Plutarque décrit probablement ce qui s’est réellement passé lors de la visite du conquérant macédonien : « Quelques-uns affirment que le prophète, voulant le saluer en grec d’un terme d’affection, l’avait appelé « mon fils » (paidion), mais que, dans sa prononciation barbare, il achoppa sur la dernière lettre et dit, en substituant au nu un sigma : « fils de Zeus » (paidios) ; ils ajoutent qu’Alexandre goûta fort ce lapsus et que le bruit se répandit aussi qu’il avait été appelé « fils de Zeus » par le dieu. » (Vie d’Alexandre, XXVII, 9.) Son temple veille toujours sur les ruines de l’ancienne ville d’Aghourmi, lieu des premiers peuplements de l’oasis. Et sur quelques familles qui tirent leurs subsides de la palmeraie voisine et du tourisme désormais assez rare, qui n’est pourtant pas sans menacer cet îlot culturel hors du commun.
Restée à l’écart du monde pendant des siècles, Siwa a pu préserver une identité bien distincte de celle des autres oasis tant par sa langue d’origine berbère, le tsiwit, assez mal compris par les Egyptiens, que par ses coutumes austères. Et pas toujours appréciées des visiteurs étrangers. Ici, l’alcool est interdit, comme le rappelle un panneau à l’entrée de Shali, le plus important village, et les visiteuses sont fortement invitées à ne pas circuler en shorts ou bras nus. Encore moins à se mettre en maillot de bain ! La seule possibilité pour goûter à la fraîcheur des sources est de se jeter à l’eau habillée ! Dans les cafés, majoritairement fréquentés par les étrangers, on est surpris de ne pas entendre de musique orientale ou la voix de Fairuz si chère au cœur des Egyptiens partout ailleurs dans le pays ! La musique est ici interdite. Seulement des prêches islamistes hurlés par des cassettes nasillardes. À l’évidence, les Frères musulmans sont bien implantés et pèsent sur la vie locale…
La femme : rançon de la tradition préservée
Ce qui n’est pas franchement une note d’espoir pour les femmes siwis déjà durement contraintes par la tradition. Celles-ci se font rares, dans les rues comme dans les champs. Fantômes furtifs bâchés du traditionnel tarfottet, une étoffe gris bleuté, spécialement tissée pour elles à Gizeh, qui dissimule totalement le corps et le visage, on les aperçoit parfois glissant entre deux échoppes ou recroquevillées sous leurs voiles à l’arrière des carrioles qui les ramènent des champs.
Mariée entre 13 et 15 ans à un homme de 15 à 20 ans plus âgé et qu’elle n’a pas choisi, la femme siwi mène une vie d’éternelle captive. Entre une belle-mère qui peut la chasser du jour au lendemain sans avis du mari (un fils ne s’oppose jamais à ses parents), un mari tout puissant à qui elle doit obéissance et un voisinage qui surveille ses faits et gestes. Résultat : Siwa connaît le taux de divorce le plus élevé d’Egypte. « La cause est à chercher principalement dans les relations entre l’épouse et sa belle-mère », explique Fathi Malim, un jeune sociologue siwi qui a commenté les coutumes et traditions de l’oasis dans un ouvrage. « L’emprise de la belle-mère est telle que lorsqu’elle souhaite briser le mariage de son fils, il lui suffit de dire à sa belle-fille qu’elle est divorcée. Le mari n’a aucun moyen d’annuler cette décision, sauf à choisir de s’en aller avec sa femme ou de rester avec sa mère ». Dans les faits, il choisit sa mère…Et la femme de regagner la maison de son père ou d’un de ses frères si celui-ci est décédé. Mais, depuis l’arrivée de la télévision et d’internet dans l’oasis, les jeunes femmes commencent à porter un regard différent sur la vie en général et l’amour en particulier. « Certaines jeunes filles se permettent de contredire leur fiancé, constatait Fathi Malim en 2006. Jusqu’alors c’était impensable ! » Et s’il leur prenait l’envie de choisir leur mari ?
Comment se rendre à Siwa ?
L’accès se fait en bus (West Delta Bus Company) depuis Alexandrie ou le Caire en passant par Marsa Matrouh, en taxis collectifs ou en 4 x 4 pour ceux qui prennent les services d’un guide ou une excursion.
Actuellement, il n’existe pas de voyagiste français qui organise de voyage à Siwa. Mais on peut faire appel à plusieurs tours opérateurs égyptiens dont les tarifs sont peu élevés.
Conseil au voyageurs en Egypte : tout déplacement est actuellement formellement déconseillé par le ministère de l’Intérieur français, depuis la frontière égypto-libyenne jusqu’à la frontière égypto-soudanaise.
Se loger
Dans la ville, le Shali Lodge, un petit hôtel en brique crue est recommandé.
À quelques km de Siwa, l’hôtel Adrere Amellal est un écolodge superbe, aux antipodes du luxe traditionnel. Construit sur les flancs d’une montagne de calcaire blanc, il dispose de 40 chambres à la décoration simple et chic et offre une vue sur la Montagne blanche, le lac Ghâry, les palmeraies et la grande mer de sable. Les meubles et les canapés sont en terre recouverts de coussins blancs et la cuisine est faite avec des légumes bio cultivés dans le jardin de l’hôtel. Celui-ci dispose également d’un spa et d’une piscine d’eau de source. http://adrereamellal.net/siwa%20oasis.html
Texte et photos : Brigitte Postel