Rajasthan

La fête tribale de Baneshwar

Rajasthan. « Terre des rois » en sanskrit. Terre du sacré avant tout. Plongée dans la plus grande fête religieuse des tribus Bhil.

Ils sont forgerons, bergers ou paysans. Dans un passé lointain, ils étaient un groupe influent du Rajputana (ancien nom du Rajasthan), du Madhya Pradesh et du Gujarat et ont combattu aux côtés des souverains du Mewar contre les armées mogholes. L’histoire en a fait de redoutables guerriers et des chasseurs hors pair. Ce sont les Bhil, troisième communauté tribale de l’Inde et les meilleurs archers du pays, dit-on.

Recueillement avant dispersion des cendres du défunt.

Recueillement avant dispersion des cendres du défunt.

Chaque année, à la pleine lune de fin janvier ou février (Magh Shukla Purnima), ils se rassemblent par milliers sur le delta des rivières Som et Mahi pour fêter Baneshwar « le maître du Delta », surnom local du dieu Shiva Linga qu’ils vénèrent. Avec ferveur, ils vont rendre hommage à leurs ancêtres, disperser les cendres des défunts de l’année et se purifier dans les eaux sacrées. Prier, danser, chanter autour de brasiers allumés dans le quasi désert environnant durant trois jours et trois nuits. Pour la plupart des fidèles, ce pèlerinage a demandé une réelle organisation entre familles et voisins.

Les pèlerins s’entassent à l’intérieur et sur le toit des voitures.

Les pèlerins s’entassent à l’intérieur et sur le toit des voitures.


Entassés à l’intérieur et sur le toit des rares voitures possédées par les plus riches, agrippés aux portières, ils vont parcourir parfois des centaines de kilomètres sur des routes chaotiques. Les autres viennent avec leurs mobylettes (il n’est pas rare de voir jusqu’à 5 personnes sur une), leurs chameaux ou sur des charrettes tirées par des buffles aux cornes peintes. Mais la plupart du temps, c’est à pied que les pèlerins font le voyage. À l’arrivée, ils s’étalent dans un gigantesque campement improvisé de bâches tendues, de toiles de jutes et d’auvents de toutes les couleurs.

Les hommes de cette famille vendent les outils qu’ils ont façonnés.

Les hommes de cette famille vendent les outils qu’ils ont façonnés.

Vendeurs de souvenirs, d’images saintes, de bimbeloteries, d’ustensiles divers, parc d’attraction complètent le décor et contribuent à créer une atmosphère de foire animée et joyeuse.

 

La foule se presse au temple de Shiva.

La foule se presse au temple de Shiva.

Les festivités débutent par une visite au temple de Shiva, troisième déité de la triade hindoue. Juste avant de pénétrer dans le sanctuaire, un prêtre mi-sâdhu, mi-cerbère, nous invite du bout de son bâton à quitter nos chaussures. Définitivement ! En ressortant, elles auront disparu. Les voleurs fréquentent aussi les temples. Qu’importe, on repart avec un troisième œil sur le front et on se dit que nos baskets ont fait des heureux.

Linga et yoni accompagnés du taureau Nandi.

Linga et yoni accompagnés du taureau Nandi.

Au temple, le rituel consiste à orner de safran – symbole du feu et de la pureté – le Shiva Linga, une statue de pierre en forme de phallus érigée sur une base circulaire et posée su le yoni, symbole féminin. Celle-ci est accompagnée du véhicule de Shiva, le taureau Nandi. Les fidèles la baigne, la parfume d’encens ou l’orne de pétales. Quelques signes tracés dans l’espace, fragiles repères d’un royaume de vent et de lumière, une cloche frappée en passant, la dévotion est à son comble. Un yogi impassible et mûri au shilom s’accroche à ses rêves ; le temps n’a pas de prise…

Culte des ancêtres

Bâton à la main, ce prêtre shivaïte vérifie que les fidèles se déchaussent en pénétrant dans l’enceinte du temple dédié à Shiva.

Bâton à la main, ce prêtre shivaïte vérifie que les fidèles se déchaussent en pénétrant dans l’enceinte du temple dédié à Shiva.

Les tribaux partent ensuite en groupe vers la rivière pour immerger les restes de leurs morts de l’année. Les cendres sont enveloppées dans une étoffe de coton blanc si c’est un homme, rouge si c’est une femme. Les berges grouillent de monde mais les visages n’expriment pas de tristesse, seulement du recueillement. On se fraie tant bien que mal un chemin dans une foule bigarrée, et étonnée de voir quelques Occidentaux égarés en ces lieux. Les femmes se baignent et se lavent ensemble, seules ou à côté des hommes de la famille. L’eau colle les saris à leur peau, soulignant la grâce et la beauté des silhouettes multicolores qui se reflètent dans l’onde. Quelques ablutions, une ou deux gorgées d’eau, quelques prières psalmodiées, tout est dit ou presque. L’eau est ici une divinité. Chacun lui offre son être. Même sa voiture !

Petit imprévu, la voiture purifiée dans les eaux sacrées est restée envasée !

Petit imprévu, la voiture purifiée dans les eaux sacrées est restée envasée !

Qui regarde qui tant l’étonnement de nous voir est réel ?

Qui regarde qui tant l’étonnement de nous voir est réel ?

Elle n’est pas seulement bonne pour l’âme, elle peut très souvent guérir les corps. C’est pourquoi les mères n’hésitent pas un instant à la faire boire à leurs bébés, sous nos regards incrédules. Qu’importe que le fleuve charrie des immondices et des détritus, que tout le monde fasse sa lessive et ses besoins dedans ! Il faut s’y plonger, s’en asperger et boire ce « nectar d’immortalité ». Et l’immortalité en Inde, ça ne se discute pas. Les Hindous savent bien que, tôt ou tard, dans cette vie ou dans une autre, ils réaliseront l’osmose entre leur âme et le divin. Naissances et morts sans cesse renouvelées sont notre lot à tous. Et à ce jeu, chaque être a l’éternité devant lui pour gagner !  Imaginez seulement un instant que vous viviez pour que votre prochaine vie soit meilleure… cela permet de relativiser beaucoup de choses !