Mafate - Emmanuel Virin

Sillonné par un important réseau de sentiers pédestres, le cirque de Mafate, accessible uniquement à pied, est un des mythes de la randonnée dans l’île. Sauvage et enchanteur, Mafate se mérite. Mais quelle beauté ! Le bruit des hommes ne l’atteint pas : on peut y oublier !

Vue sur le massif du Gros Morne
Vue sur le massif du Gros Morne.

Une île dans une île

Avec Salazie et Cilaos, Mafate est l’un des trois grands cirques de l’île, ordonnés à environ 120° l’un de l’autre autour du sommet du Piton des Neiges, tels les lobes d’un trèfle. Difficile d’accès, Mafate est le plus sauvage, le plus tourmenté et le moins habité. Le seul qui ne se découvre qu’à pied, dans le silence de cette nature chaotique qui le caractérise. Avec 140 km de sentiers aménagés par l’ONF, Mafate est un havre de 80 km² de ravines, de vallons, de falaises abruptes et de cascades sur lesquels veillent les massifs du Grand Bénare au Sud, du Gros Morne au Sud-Est, du Cimendef et de La Roche Ecrite au Nord-Est et du Maïdo à l’Ouest.
Selon les accès, randonner dans Mafate peut s’avérer difficile. L’entrée la plus ardue est sans conteste celle du Maïdo qui sollicite fortement les chevilles (descente de 1000 m de dénivelé très raide, 2h pour descendre et près du double pour remonter). « Santié par issi lé apik, kamarad », plaisante notre guide Clovis. On a pourtant chaussé nos « soulié la marche », mais on préfère un accès plus facile.

Du col des Bœufs au Col de Fourche

En allant au col des Boeufs
En route pour le col des Boeufs

On part donc du Bélier, dans le cirque de Salazie, à un quart d’heure à pied du col des Bœufs où on peut laisser sa voiture (parking gardé). Puis direction col de Fourche (1942 m, GR R1). Plus difficile qu’un accès par le Col des Bœufs, mais supportable tout de même, cet itinéraire présente l’avantage de découvrir en marchant une partie du Cirque de Salazie avant de pénétrer dans celui de Mafate. L’itinéraire dure deux heures de plus que par le col des Bœufs (1988 m) et permet d’admirer la forêt tropicale qu’embaument les fleurs de longoses, un rhizome très prolifique de la famille du gingembre. Çà et là, on peut apercevoir des tariers de la Réunion, ou localement « tec-tec » (Saxicola tectes), une espèce protégée d’oiseau forestier peu farouche endémique de l’île.

Tec-tec ou Saxicola tectes, oiseau endémique de La Réunion.
Tec-tec ou Saxicola tectes, oiseau endémique de La Réunion.


En traversant un petit ruisseau, notre guide nous fait remarquer les cristaux d’olivine incrustés dans leur gangue de basalte. L’eau des sources est pure dans tout le cirque, aussi nous remplissons nos gourdes. Un sentier agréable descend jusqu’à la forêt de Grand Sable puis remonte, avec quelques fortes pentes, jusqu’au Col de Fourche.

La Réunion. Oratoire à Saint Expédit.
La Réunion. Oratoire à Saint Expédit.

Quelques petits oratoires rouges à Saint Expédit (parfois à la Vierge) ponctuent le parcours. Le culte de Saint Expédit est très populaire à La Réunion et rassemble autour de lui des adeptes du bien et de la sorcellerie. Ce légionnaire romain converti au christianisme, mort dans l’arène où les soldats Romains l’avaient jeté en pâture aux fauves, n’a jamais été canonisé par l’Église, Pie XI ayant rayé son nom du martyrologue. Il n’en demeure pas moins vénéré et parfois invoqué pour jeter un mauvais sort à un ennemi…

Du Col de Fourche à la Plaine des Tamarins

Vue sur le Morne de Fourche et le col des Boeufs. Au premier plan, une fougère arbustive ou Fanjan, endémique de La Réunion.
Vue sur le Morne de Fourche et le col des Boeufs. Au premier plan, une fougère arbustive ou Fanjan, endémique de La Réunion.

Au col de Fourche, une superbe vue sur Salazie et le Piton d’Anchaing qui se dresse fièrement en son sein nous attend ! En franchissant le col, on bascule sur un nouveau panorama : le sud de Mafate, ses pitons et remparts ! Grandiose !

Au col de Fourche, le pied doit être sûr pour ne pas rouler sur une pierre.
Au col de Fourche, le pied doit être sûr pour ne pas rouler sur une pierre.

On peut aussi opter directement pour le col des Bœufs (dénivelé + 100m, dénivelé – 505 m, 2h de marche environ pour rejoindre La Nouvelle ou Marla, rando idéale pour les familles avec enfants). Depuis ce col, on aperçoit par beau temps le petit village de La Nouvelle en contrebas et l’îlet (prononcer îlette) de Marla, au pied du Grand Bénare. Le long du parcours, on peut admirer des espèces endémiques de la Réunion comme la fougère arborescente ou Fanfan femelle (Cyathea excelsa). Ou le mapou (Monimia rotundifolia), un arbre aux petites feuilles rondes et dures.

Plaine des Tamarins. Un chemin aménagé de rondins transversaux évite de patauger dans la boue à la première pluie.
Plaine des Tamarins. Un chemin aménagé de rondins transversaux évite de patauger dans la boue à la première pluie.

Une heure plus tard, on atteint la Plaine des Tamarins. Mimosacée endémique de la Réunion, le tamarin des Hauts (Acacia heterophylla ou chêne de Bourbon) est un arbre qui peut atteindre une vingtaine de mètres de hauteur. On le rencontre en altitude, et son bois est très apprécié en ébénisterie. Très tortueux, souvent couchés par les vents en vieillissant, les tamarins campent dans cette plaine un décor assez fantasmagorique, quand leurs troncs blanc argenté percent la brume. Ce lieu féérique est très apprécié des randonneurs pour une pause détente. Zigzaguant dans la tamarinaie, un chemin aménagé de rondins transversaux et de petits ponts en bois évite de patauger dans la boue à la première pluie. Mais attention à ne pas se tordre les chevilles ! Il est en fait assez difficile de marcher dessus et nous préférons les contourner.

Plaine des Tamarins. En levant les yeux, on remarque les nombreuses touffes d’usnée barbue (ou barbe de Jupiter) qui s’accrochent aux branches. Ce lichen épiphyte signe l’absence de pollution des lieux.
Plaine des Tamarins. En levant les yeux, on remarque les nombreuses touffes d’usnée barbue (ou barbe de Jupiter) qui s’accrochent aux branches. Ce lichen épiphyte signe l’absence de pollution des lieux.

De la Plaine des Tamarins à La Nouvelle


Nous suivons ensuite le balisage blanc et rouge. Au bout de 15 mn, nous atteignons le lieu-dit « La Découverte », au bord du plateau. De là, quelques lacets rapides mais sans difficulté nous conduisent au bout de 30 mn de descente au panneau indiquant le début de l’îlet, situé à 1420 m d’altitude. Une aire de pique-nique bien aménagée (à l’entrée de l’îlet, sur la gauche) invite à une pause bien méritée mais en continuant quelques mètres vous pourrez vous attabler à la terrasse du « bistrot » de la « capitale » de Mafate, non sans avoir admiré un magnifique massif de Tibuchina qu’encadrent des panneaux indicatifs.

Massif de tibouchina à l'entrée de La Nouvelle.
Massif de tibouchina à l’entrée de La Nouvelle.


Vous pouvez également rallonger votre randonnée de 10 mn en passant par le plateau des chênes : ce détour vous offrira une jolie vue sur La Nouvelle. Ou, depuis la Plaine des Tamarins, prolonger l’itinéraire en obliquant à gauche pour redescendre vers Maison Laclos. Deux sentiers partent vers la Nouvelle à Maison Laclos : prendre le premier qui permet de passer près de la Stèle J. Ethève et de franchir la passerelle qui surplombe la Rivière des Galets, ses bassins et petites chutes d’eau. Plus loin, deux sentiers qui dominent le Gîte de Gravina partent vers la Nouvelle : on peut prendre au choix n’importe lequel car la pente est identique. On arrive enfin à la Nouvelle, le plus peuplé des îlets du cirque de Mafate. Une trentaine de familles y vivent à l’année, essentiellement du tourisme. Les poules picorent autour des maisons et les vaches broutent les champs du vallon. Sur place, vous trouverez une aire de camping, une épicerie, des gîtes et même une boulangerie. Les cases disposent de panneaux et chauffe-eaux solaires que complètent des groupes électrogènes quand la couverture nuageuse persiste trop longtemps

Cirque de Mafate, paradis pour la randonnée.
Cirque de Mafate, paradis pour la randonnée.

Retour au Col des Bœufs


Après une nuit dans l’îlet de La Nouvelle, de nombreuses destinations s’offrent au randonneur le lendemain : retour par le Col de Bœufs, Roche Plate ou Marla par Trois Roches. Nous revenons par le col des Bœufs (dénivelé + 505 m). On traverse la forêt de Bois de couleurs des Hauts, où s’épanouit une végétation luxuriante et abondante. Enveloppés de brumes fréquentes, ses arbres se couvrent généreusement de mousses, lichens, et autres plantes épiphytes. De la basse canopée (8-10 m), où croissent des arbres comme le Mapou, les Mahots, ou le Bois de tambour, émergent des fougères arborescentes (ou fanjan) qui érigent leurs frondes au-dessus des arbres.
Puis, une série d’escaliers assez raides nous attend. Nous profitons des petites terrasses pour admirer le cirque et récupérer notre souffle. L’itinéraire est très pentu et comporte quelques grandes marches. Mais elles ne semblent pas rebuter les locaux qui grimpent avec leur marmaille sur les épaules pour aller se ravitailler en ville, l’approvisionnement lourd (ainsi que les urgences) étant toutefois assurés par hélicoptères. Encore un effort sous le regard du papangue, un busard endémique de l’île, et nous voici de retour à notre point de départ.

Le sentier qui conduit au col des Boeufs est par endroit aménagé en escalier.
Le sentier qui conduit au col des Boeufs est par endroit aménagé en escalier.

Mafate
Mafate est originellement le nom d’un esclave marron. Celui dont le nom signifie « Celui qui tue » en malgache. « De nombreux esclaves marrons […] formèrent des villages défendus […] sous la conduite de chefs autoritaires. Certains de ces derniers se seraient revêtus du titre de manjakes, synonyme de roi chez les malgaches. Il semble même qu’ils auraient pris des noms de guerre : Mafate (qui cause la mort), Tsilaos (invaincu) » (1). Mafate (ou Maffack) devint le chef d’une communauté d’esclaves marrons ayant trouvés refuge dans le cirque le plus inaccessible de l’île. Il a laissé son nom à un village (aujourd’hui disparu) ainsi qu’au cirque du même nom. Il aurait été repris par le grand chasseur d’esclaves François Mussard qui l’aurait assassiné en 1751.
(1) – Histoire de l’esclavage à l’île Bourbon, J.V. Payet, éditions L’Harmattan, 1991.

Pratique

Cette randonnée se fait sur deux jours. Tous les niveaux de randonnées sont possibles dans Mafate. Prévoyez un équipement de montagne, de l’eau, une trousse de secours et de quoi se protéger de la pluie, du froid et du soleil car le temps peut vite changer. À noter qu’il n’y a ni serpent ni animal venimeux dans l’île.

Texte : Brigitte Postel
Photos : Florian Ferry et Brigitte Postel