Ouvert en juin 2022 à Marseille, « Cosquer Méditerranée » reproduit un site majeur de l’histoire de l’art pariétal au paléolithique. Cette grotte ornée sous-marine, unique au monde, a été classée Monument historique en 1992. Plongée dans ce joyau du patrimoine de l’humanité pour revivre l’aventure Cosquer.
C’est dans la villa Méditerranée, un bâtiment en porte à faux conçu par l’Italien Stefano Boeri à côté du MUCEM, que l’architecte Corinne Vezzoni a restitué 1750 m² de cette grotte sur les 2200 m² de ce précieux sanctuaire découvert en 1985 par le plongeur Henri Cosquer et ses amis dans le massif des Calanques, près du cap Morgiou. Située à 37 mètres de fond, accessible uniquement à des plongeurs expérimentés par un boyau immergé de 116 m de long, cette grotte a été longtemps le jardin secret de Cosquer, visitant la grotte de temps à autre, sans, pendant des années, être en mesure de distinguer les peintures. Ce n’est qu’en 1991 que son ami Yann Gogan repère une main au pochoir dans le faisceau de sa torche. Déclarée aux Autorités en 1991 après que trois plongeurs s’y soient noyés, la grotte est aujourd’hui menacée de destruction par la montée des eaux et la pollution. La moindre perforation de la falaise pour la rendre accessible aurait pu détruire le site et le biotope particulier de ce lieu. Aussi, il ne pouvait être envisagé un accès au public.
Cosquer – Un jardin géologique
Pour restituer cette unique cavité sous-marine ornée au monde et conserver ce trésor de l’art paléolithique, il a d’abord fallu créer un modèle virtuel complet de la cavité pour permettre à une équipe d’artistes plasticiens de reproduire ce « jardin géologique », comme l’appelle Henri Cosquer, avec ses nombreuses formations appelées spéléothèmes : stalactites, stalagmites, colonnes, draperies… Pas moins d’une trentaine de corps de métiers, scénographes, sculpteurs, dessinateurs, géologues, etc. ont travaillé à partir de ce jumeau numérique d’une précision millimétrique réalisé par la société aixoise Perspective(s). « Son réalisme époustouflant nous a permis de concevoir une version concentrée de la grotte », témoigne Laurent Delbos, chef de projet de la restitution conduite par la société Kléber Rossillon, déjà en charge de la reproduction de la grotte Chauvet en Ardèche. L’objectif étant de rendre compte au plus juste du paysage de la grotte et des œuvres des artistes préhistoriques venus à deux périodes entre 33 000 ans et 29 000 ans BP ; puis lors de la dernière période glaciaire entre 25 00 et 19 000 ans BP, alors que les calanques étaient des falaises dominant une steppe où couraient antilopes et cervidés.
Un « Lascaux » sous la mer
Dans cette « Provence du froid » correspondant à la dernière période glaciaire, le niveau de la mer était situé 120 m plus bas qu’actuellement et le rivage à 12 km de l’entrée de la grotte. Des groupes d’Homo sapiens l’ont fréquentée à deux reprises mais n’y ont pas vécu. Ils ont laissé des empreintes de mains sur les parois, réalisées par la technique du pochoir, et dessiné un bestiaire riche de 200 figures animales dont des chevaux (63 exemplaires), des bisons et des aurochs (24 exemplaires), des cervidés dont des mégacéros, un félin, mais aussi 3 pingouins, 4 poissons et 9 phoques.
Empreintes de mains
Les mains peintes appartiennent aux phases les plus anciennes de l’art, avec certitude au gravettien (de 27 000 à 20 000 ans environ avant notre ère). Elles sont de quatre types. Les plus nombreuses sont les mains négatives noires (44) réalisées avec du charbon de bois prélevé dans les foyers et mains rouges (25) réalisées avec de l’argile rouge provenant du sol de la cavité. Une seule main positive brune réalisée avec de l’argile a été identifiée à Cosquer de même qu’une main d’enfant imprimée dans un support mou et une autre qui a été détourée. Plusieurs de ces mains sont représentées les doigts pliés.
La majorité des 500 entités d’art pariétal inventoriées ont été gravées au silex ou avec les doigts et une cinquantaine dessinée au charbon de bois. En outre, dans toute la caverne, les surfaces portent de nombreuses traces de raclage, d’incision, de prélèvements, de signes non figuratifs et de motifs suggérant des symboles sexuels (vulves, phallus, corps féminin stylisé). « Dans les cavernes ornées, les sexes féminins ont souvent été représentés depuis l’aurignacien (de 40 000 à 28 000 ans avant notre ère), la grotte étant certainement considérée elle-même comme féminine« , relève Jean Clottes, spécialiste mondial de l’art préhistorique (1).
L’inventaire de ces représentations est toujours en cours d’étude. Mais il faut aller vite. En raison du réchauffement climatique, le niveau d’eau monte. Les quatre cinquièmes des galeries et des salles sont sous l’eau. Et les chevaux ont déjà les pattes dans l’eau. L’enjeu est donc de réunir un maximum de données avant l’inéluctable ennoiement du site. Ne resteront alors que des films, des relevés, des photos et la réplique que l’on découvre aujourd’hui sur le port de Marseille.
Une fascinante odyssée sous-marine
« Préparez-vous à une plongée de 37 mètres sous le niveau de la mer et à une remontée dans le temps jusqu’à 33 000 ans », annonce la voix off alors que nous effectuons une descente, grâce à un ascenseur simulant un caisson de plongée, pour rejoindre la base sous-marine du musée où la grotte est fidèlement restituée. Une fois sous le niveau de la mer, le parcours se fait à bord de modules d’exploration évoluant très lentement. Audioguide sur les oreilles, on se laisse porter 35 minutes durant, par un incroyable voyage dans le temps, à la découverte des copies des peintures et des gravures. Sinuant à travers une architecture géologique donnant l’illusion parfaite d’être dans les profondeurs de la terre, on découvre un antre de concrétions de calcite, de colonnes de stalactites et de stalagmites dont le relief se reflète dans les bassins d’eau clapotante. On imagine l’émotion qu’ont pu ressentir les plongeurs quand on découvre dans la première chambre, trois chevaux dessinés au charbon. Puis le tunnel se rétrécit et après ce passage étroit, on tombe sur les pingouins, devenus l’emblème de Cosquer. Pinguinus impennis a posé pour l’éternité et c’est tant mieux car le dernier de cette espèce de grand pingouin a été tué au XIXe siècle sur l’ilot d’Eldez au large de l’Islande. Et puis on remarque les mains si réalistes, les antilopes saïga, les bouquetins… Au total 480 œuvres ont été reproduites sur les parois par une équipe d’artistes de la société AAB. Le tout sous un éclairage subtil. De quoi offrir une visite immersive et féérique pour petits et grands.
Texte et photos : Brigitte Postel
1 – L’Art des cavernes préhistoriques – Jean Clottes – Phaidon, 2008.