Au même titre que la calligraphie ou l’ikebana, le sadō (la Voie du thé) est un art traditionnel, influencé par le taoïsme et le bouddhisme zen, dans lequel le thé vert en poudre, ou matcha, est préparé de manière très codifiée par un Maître de thé après de longues années d’apprentissage. Ainsi, boire une tasse de thé, obéit à un rituel précis et peut être source d’une intense communion spirituelle, en même temps que d’une expérience esthétique où la peinture et la calligraphie, la poésie, l’art de la céramique et l’art floral (ikebana) ont toute leur place.
Être chajin- pratiquant de la Voie du thé – ne s’improvise pas. C’est un long chemin, ardu, onéreux, un art dans lequel tous les sens vont se développer au fil des séances, selon une étiquette rigoureuse et imposée, tant pour le Maître de thé que pour les invités. Avec les années de pratique, la cérémonie du thé apprend à vivre au présent dans une réelle communion entre le maître de thé, les invités, les éléments, la nature. Elle permet de développer un état d’éveil et d’attention hors du commun, une pleine conscience de l’instant. Mieux qu’un breuvage, le thé donne vie à une école de poésie, de beauté et une discipline dans la conduite de l’existence.

Un rituel inspiré du bouddhisme zen


Le thé fut introduit de Chine au Japon au XIe siècle mais l’engouement pour ce breuvage débuta sérieusement au XIIe siècle avec le moine Eisai qui avait étudié les courants les plus récents du bouddhisme, en particulier le zen, et rapporté des graines de théier de l’Empire du Milieu. Cet art de consommer le thé s’est d’abord développé dans les monastères et est inspiré du rituel des moines zen de boire les uns après les autres le thé dans un bol, devant la statue de Bodhi Dharma. Avant de se répandre dans la noblesse qui fréquentait ces lieux, puis dans la caste des samouraïs qui n’avaient pas accès aux autres prérogatives de l’aristocratie. Mais leurs libations (chakai) étaient exubérantes, loin de la cérémonie et du rituel tel qu’il a été institué au XVe siècle par le maître Murata Shukō en réaction à ces banquets licencieux. Ce maître pose les bases d’une Voie du thé plus sobre et dépouillée, le Wabi-Cha, et édicte les quatre valeurs qui doivent permettre la conscience de l’instant et la transformation de soi : l’harmonie, le respect, la pureté du corps et de l’esprit, la tranquillité.

Le wabi-sabi : simplicité et art de l’imperfection


Ce thé, « le Japon l’ennoblit et en fit une religion esthétique, le Théisme », écrit Okakura Kakuzo dans Le Livre du Thé. Mais il faut attendre le XVIe siècle pour que le grand maître de thé Sen Sôeki ou Sen no Rikyû, plus communément appelé Rikyû, donne ses lettres de noblesse à cette tradition toujours pérenne. À 17 ans, il étudie le thé sous l’enseignement de Kitamuki Dochin tout en suivant des entrainements Zen au temple Daitoku-ji. C’est en effet du rituel instauré par les moines zen de boire successivement le thé dans un bol, devant la statue de Bodhi Dharma, qu’est né le cérémonial du sadō. En puriste, Rikyû pose le principe spirituel aujourd’hui nommé wabi-sabi : simplicité et art de l’imperfection. Postérieurement à sa mort par hara-kiri, après une ultime cérémonie du thé où il avait convié ses amis, trois écoles de thé, toutes tenues par ses descendants, ont vu le jour : omotesenke, urasenke, et mushakojisenke, l’école urasenke étant aujourd’hui la plus présente au Japon.


Le Livre du thé a été rédigé en 1906 en anglais par Okakura Kakuzō (1862-1913) afin de transmettre aux Occidentaux l’atmosphère et l’esprit mêmes de la cérémonie du thé (chanoyū) et de la voie du thé (sadō ou chadō).
En 1930, les Bibliophiles du Faubourg publièrent Le Livre du thé dans une admirable édition comprenant la traduction du critique d’art et poète Gabriel Mourey (1865-1943), une préface de Thomas Raucat et des aquarelles de J. A. Tohno.
Cet ouvrage, publié aux éditions Citadelles & Mazenod, est le fac-similé de ce tirage limité originellement à 110 exemplaires. Il est relié à la japonaise sous coffret cartonné illustré. Couverture doublée plein papier illustrée 152 pages, 9 aquarelles in-texte de de J. A. Tohno et 8 illustrations hors texte en partie dorées Format : 19,5 x 25,6 cm. Parution : 12 avril 2023. Prix : 49 €.

L’auteur

Érudit japonais, fils d’un samouraï de rang supérieur, Okakura Kakuzō (1862-1913) est l’une des figures majeures de la culture et de l’art de son pays. Il a contribué à la sauvegarde et au développement des arts japonais en participant notamment à la création du grand Musée national (à l’époque musée impérial) de Tokyo et du Nihon Bijutsuin (« Institut d’art du Japon », 1898). En 1910, il devient conservateur du département d’art asiatique au Museum of Fine Arts de Boston. Il a écrit The Ideals of the East (Les Idéaux de l’Orient, 1903) et The Awakening of Japan (Le Réveil du Japon, 1904) dans lesquels il expose les valeurs traditionnelles de l’Orient alors méconnues en Occident.