Les Polynésiens ont un rapport très fort à la terre nourricière et au végétal. Fleurs ornementales, plantes vivrières ou médicinales, étoffes d’origine végétale, la nature constitue une ressource essentielle qui traverse l’histoire du fenua (1) et accompagne les habitants dans leur vie.
Comme les autres îles du Pacifique, la Polynésie possède une flore indigène établie avant l’arrivée de l’homme, grâce aux vents, aux courants marins, aux oiseaux. Avec les différentes migrations, la flore va s’enrichir de nouvelles espèces venues d’Asie, de Malaisie ou des terres du Pacifique occidental. Ce fut le cas du tiare tahiti, un arbuste de la famille des rubiacées réputé pour ses petites fleurs blanches odorantes, de l’arbre à pain et du bananier fehi. Dès la fin du XVIIe siècle, les premiers missionnaires introduisent de nombreuses autres plantes : manguiers, letchis, plantes alimentaires et ornementales. Et en acclimatent d’autres : tamarinier, citronnier, avocat, vanille, … La nature est ici généreuse et les sols volcaniques si fertiles qu’ils ont pourvu aux besoins des Polynésiens tout au long de leur histoire.
Le tiare tahiti, emblème de la Polynésie
Dès l’aéroport de Faaa, lorsqu’il arrive fatigué après un long voyage, le visiteur découvre que Tahiti pourrait s’appeler « l’île aux fleurs ». Dans les colliers qu’on lui passera au cou en signe de bienvenue, il repérera vite à l’odeur les fleurs de « tiare maohi ou tahiti » (Gardenia tahitensis). Espèce indigène de la famille des rubiacées, sa corolle très blanche compte cinq à huit pétales, parfois plus, issus d’un long tube. Elle dégage un parfum incomparable : lourd, capiteux, insidieux, sucré, aphrodisiaque et attractif. Le tiaré parfume le monoï, l’huile de coco dont les vahinés font toujours grand usage dans leurs rituels de beauté.
Une fleur encore fermée glissée sur l’oreille droite signifie un cœur à prendre. Placée derrière l’oreille gauche, elle signifie que la personne est prise. Les fleurs de tiare Tahiti sont également utilisées dans la fabrication du umuhei, le bouquet parfumé marquisien.
N’oublions pas le frangipanier dont les fleurs parfumées entrent dans la composition de couronnes de tête ou de cou. Les premiers frangipaniers ont été importées à Tahiti en 1852 par le pépiniériste M. Abadie, originaire de Valparaiso.
On l’appelle tipanie en Polynésie. Il tiendrait son nom du marquis italien Frangipani qui inventa une fragrance similaire à la fleur de cet arbre pour parfumer des gants au XVIIe siècle. C’est le genre Plumeria qui est le plus répandu au fenua. Il compte plusieurs variétés aux coloris magnifiques.
Le cocotier, symbole des mers du Sud
Le cocotier (niu ou ha’ari) (Cocos nucifera) a conquis tous les archipels. Il en existerait 47 variétés en Polynésie française. Les noix de coco emportées par les vagues puis jetées sur un rivage, germent là où le hasard les a poussées. Le tronc fournit un bois de qualité utilisé pour faire des piliers ou des pièces de charpente. Les palmes (niau), après traitement à l’eau de mer et séchage, sont tressées pour former des parois murales, des toitures ou des nattes. La partie centrale des jeunes pousses, le cœur, fait d’excellentes salades et constituait autrefois un remède contre le scorbut.
Le cocotier pousse sur toutes les plages de sable blanc et de sable noir. Venu d’Asie ou d’Amérique centrale, il s’est acclimaté dans toute la Polynésie. Ses frondes flexibles se balancent au gré des vents et résistent même aux ouragans. La noix est utilisée pour faire le célèbre « monoï » qui protège des brûlures du soleil. Avec les palmes, on tresse des paniers ou on recouvre les « farés », maisons traditionnelles polynésiennes.
Des plantes caractéristiques de la botanique indo-malaise
De nombreuses plantes ont été apportées par les premiers Polynésiens au cours de leurs migrations dans le Pacifique. Parmi elles, figurent en bonne place le « auti » (Cordyline fruticosa) à la racine sucrée, le petit gingembre « rea moru » (Zinziber zerumbet), aux vertus pharmaceutiques, le bancoulier « tutui » (Aleurites moluccana) aux graines riches en huile pour lumignons, le pommier ou prunier cythère « vi tahiti» (Spondias dulcis) dont le fruit est très apprécié (La Nouvelle Cythère est le nom donné par Bougainville à Tahiti). Ou encore le grand « mapé » (Inocarpus fagiferus), châtaignier tahitien aux noix recherchées.
Et bien d’autres, parmi lesquels le pandanus, « fara » (Pandanus tectorius) qui occupait une fonction différente aux Marquises que dans les autres archipels du bassin polynésien. Au lieu d’être planté pour ses fruits et ses graines, il était utilisé comme source universelle de matériau pour la vannerie et l’isolation des toitures ! Aujourd’hui ses palmes servent encore, après traitement dans l’eau de mer, à couvrir les farés, de panneaux muraux, de tapis « peue ». Les artisans, surtout aux Australes, s’en servent pour tisser des chapeaux, des éventails, des vêtements pour la danse, des paniers ou toutes sortes d’étuis dont les Polynésiens sont aussi friands que les touristes.
Au chapitre alimentaire, citons les bananiers « fei » (Musa troglodytarum) ou « mei » (« Musa » hybrides d’Indonésie) ; le « taro » (Colocasia esculenta) dont les tubercules ont été pendant longtemps la nourriture de base des Polynésiens, le « pia » (Tacca leontopetloides), un tubercule considéré par les anciens comme un aliment de remplacement.
Sans oublier le noni « nono » (Morinda Citrifolia), une plante thérapeutique majeure originaire d’Asie dont toutes les parties (feuilles, fleurs, fruits, écorce, racines) sont utilisées dans la médecine traditionnelle pour soigner de multiples maux du quotidien. Auto-prescrit par de nombreux particuliers en vue de guérir de très nombreuses infections, de cicatriser des plaies, de prévenir la formation de tumeurs ou pour soulager les rhumatismes, le jus de noni est très apprécié des Polynésiens.
Mais c’est l’arbre à pain, « ‘uru » ou « maiore » (Arocarpus altilis) qui a nourri la part la plus importante de la mythologie tahitienne en matière botanique. Originaire de la région indo-malaise, il impressionna les premiers visiteurs : Cook estimait qu’en plantant dix « uru », un Polynésien pouvait nourrir ses descendants sur plusieurs générations ! Bouturé, l’arbre produira 150 fruits après sept années, surtout entre novembre et avril. Le « uru »se consomme rôti, cuit au four à pierres chaudes, entier ou en purée. Sous forme de pâte destinée à fermenter (« mahi » et « popoï » aux Marquises). L’excédent était enterré dans de vastes fosses qui servaient de garde-manger pour les périodes de disette. Véritable bénédiction divine pour les esclavagistes des Antilles, l’arbre à pain devint le prototype d’une alimentation aussi tropicale qu’économique : le commandant Bligh et son second Christian débarquèrent à Tahiti sur un bateau armé pour rapporter les précieux plants aux Antilles Anglaises ! On sait ce qu’il advint du « Bounty »…
Quelques espèces importées, parfois invasives
Bien que tardivement arrivé dans ces îles, l’homme a, en quelques siècles, marqué de sa présence le paysage végétal. Parmi les espèces importées, citons le caféier « tafee » (Coffea arabica), l’avocatier (Persea americana), le papayer « tita » (Carica papaya) ou encore le lantana « taratara Hâmoa » (Lantana camara) qui embellit nombre de jardins de sa floraison jaune ou orangée.
Il faut toutefois insister sur les menaces que font peser un petit nombre d’entre elles sur l’intégrité des formations végétales des îles dont certaines, par leur expansion rapide, concurrencent la flore locale et peuvent être considérées comme de véritables pestes végétales. Parmi celles-ci des graminées comme Melinis, Lantana et Miscanthus et aussi un arbre avec de grandes feuilles à revers pourpre Miconia calvescens, introduit par en 1937 par Harrisson Smith, un naturaliste américain créateur du jardin botanique de Papeari. Cette Mélastomatacée ornementale, avec des grandes feuilles vertes au revers violet pourpre, envahit quasiment tous les biotopes et connaît une extension foudroyante qui conduit à la disparition des espèces autochtones de Tahiti. Elle fait l’objet de campagnes d’arrachage, mais ce n’est pas gagné. Le mieux est parfois l’ennemi du bien…
1 – Fenua signifie « territoire », « terre », « pays » (ou souvent « île ») en tahitien.
Texte : Michèle Lasseur et Brigitte Postel.
Photo ouverture : Sylvain Grandadam.