Aux Marquises, les habitants vivent au rythme de la nature et des plantes. Du jour de sa naissance à sa mort, le règne végétal accompagne l’Enana : l’être humain. Fleurs, écorces, racines, feuilles, fruits, sucs… le baignent, le parfument, l’ornent, le soignent, le nourrissent, le protègent du mauvais sort ou l’enivrent.
On s’enduit d’huile de coprah parfumée au tiaré ou à l’ylang-ylang, on se pare de couronnes et de colliers de fleurs d’un jour, on s’habille de coco tressé et de feuilles d’aouti pour danser le tamouré.
Au Sud de l’archipel, l’île de Fatu Hiva reste la plus isolée et la plus humide. On ne peut qu’être saisi par la beauté sauvage de cette île, véritable bastion rocheux aux vallées profondes et verdoyantes, envahies de bananiers, citronniers et manguiers. Une des spécialités locales est le bouquet parfumé (umuhei ou kumu hei). Selon la fonction qu’il est sensé remplir (attirer un amant, un futur époux…), les vahinés utilisent un savant mélange de fleurs, de plantes et d’essences différentes et le portent dans leurs cheveux ou en couronne de tête pour développer leur sensualité et éveiller les ardeurs masculines. Il ne s’agit pas d’associer ces plantes odorantes n’importe comment mais de composer avec certaines d’entre elles une harmonie olfactive sans qu’aucune fragrance n’écrase les autres.
On s’est laissé conter qu’autrefois, à Fatu Hiva, la future épouse était enveloppée la veille du mariage dans un tapa (un tissu à base d’écorce battue) rempli des plantes parfumées du umuhei (vétiver, jasmin, fleurs de tiaré, d’ylang-ylang, feuilles de menthe et de basilic, de bractées de pandanus, le tout saupoudré de santal), dans lequel on ajoutait de la fumée de tabac pour accentuer les arômes avant de le fermer. Lors du mariage, en ouvrant le tapa, l’époux était ensorcelé par le parfum et ne pouvait que succomber aux charmes de sa vahiné.
Le tapa, appelé kahu en marquisien, est obtenu en battant la partie interne de l’écorce de certains arbres (banian, ficus, mûrier, arbre à pain). Il servait autrefois de matériau lors des rituels et de vêtements couvrant les corps des hommes et des femmes des épaules aux pieds, le ahu, et pouvait être parfumé et décoré avec des motifs ancestraux. Le tapa fut interdit à l’arrivée des missionnaires français à la fin du XVIIIème siècle et faillit tomber dans l’oubli. Jusqu’à leur venue, les Polynésiens ne disposaient que de l’étoffe végétale pour habiller aussi bien les hommes que les effigies des dieux, pour envelopper les nouveau-nés et servir de linceul aux morts. Ils en faisaient des tapis, des couvertures, des pareu, des ceintures… La colonisation généralisa l’usage des étoffes tissées et des vêtements occidentaux et le tapa faillit disparaître. Heureusement, les femmes se sont transmis en secret ce savoir-faire unique, de génération en génération. Dans les années 1985-87, dans le cadre du Programme de Sauvetage du Patrimoine Ethnographique (PSPE-CPSH), les techniques relatives à la confection du tapa ont été recueillies auprès des dernières personnes âgées qui en réalisaient encore. Aujourd’hui, l’art de la confection du tapa est presque exclusivement pratiqué dans l’île de Fatu Hiva et est une attraction pour les touristes. Le ahu est désormais remplacé par la « robe mission » ou des tenues occidentales, dévoilant plus ou moins le corps.
Quant aux Marquisiennes de l’île de Ua Pou, elles confectionnent leurs « filtres d’amour » avec des fleurs de lys, de l’écorce d’ananas, des branches de fenouil, des feuilles de menthe. Elles le fixent sur leurs cheveux et le bouquet peut durer trois jours sans faiblir, dégageant un parfum sucré, très pénétrant.
En savoir plus sur le tapa https://www.adaa-ase.com/documents/le-tapa-traditions-savoirs-methodes.pdf
Texte : Brigitte Postel