Le 15 mars dernier était célébrée la première journée de la robe mission. Imposée à la fin du XVIIIe pour couvrir les corps, conformément à la morale chrétienne, cette robe est pour certains un symbole des cultures océaniennes et pour d’autres, dont les plus jeunes générations, l’emblème d’une domination patriarcale et religieuse.
Si les visiteurs européens – marins et commerçants – sont fascinés par la nudité des Océaniens quand ils débarquent en Polynésie à partir de 1780, ce n’est pas le cas des premiers missionnaires chrétiens qui considèrent la nudité comme honteuse et sont outrés par cette liberté des corps. Ils la considèrent même risquée pour les hommes, Océaniens ou Européens de passage. Les zélateurs du christianisme, tant catholiques que protestants, notamment ceux de la London Missionary Society (LMS) qui arrivent à Tahiti en 1797, puis en Calédonie, s’entendent sur un point : il faut cacher le corps de ces vahinés dont les danses suggestives sont interprétées comme évocatrices de l’acte sexuel. À l’époque, hommes, femmes et enfants s’habillent d’une simple jupe courte en fibres végétales ou tapa qui provient du liber, le tissu végétal situé immédiatement sous l’écorce des arbres de la famille des Moracées (mûrier, banian, arbre à pain).
Importée d’Occident la « robe-mission » va s’imposer rapidement dans toute l’Océanie, au fur et à mesure de l’évangélisation. Cette question de l’habillement est ainsi traitée dans le Code de l’Indigénat, un système ultra-répressif qui soumet les populations colonisées à des contraintes spécifiques et à des peines en cas de non-respect.
Longue, couvrant le corps et les bras, cette robe aurait été inspirée d’un patron dessiné par la reine Victoria elle-même. Et va évoluer au fil du temps. Les femmes kanak et polynésiennes ont su l’adapter, la transformer pour en faire un symbole de leur identité. Son style et sa coupe bougent, sa longueur également. De droite, elle devient plus ample. Des chevilles, elle passe aux mollets puis aux genoux. Les manches aussi sont raccourcies. Des dentelles, plastron et galons sont ajoutés. Les femmes la revêtent tous les jours, pour travailler, cuisiner ou dormir, mais aussi lors des fêtes et cérémonies. Son port est désormais revendiqué et fait office de costume local dans une grande partie du Pacifique, Polynésie comme Mélanésie.
La créatrice Karen Wassaumi, originaire de Pouébo en Nouvelle Calédonie, a lancé récemment l’idée d’une Journée de la robe mission. Sa page facebook (https://www.facebook.com/journeedelarobemission/) comptabilise aujourd’hui 3000 followers. Et Tabitha Couture (https://www.facebook.com/tabitha.couture), gérée par la couturière Filore Meaou à Nouméa, est suivie par 4800 followers. « La robe mission exprime des valeurs : les femmes doivent s’habiller convenablement car elle représente notre ethnie, notre culture, notre coutume dans notre communauté, dit-elle. Les intérêts de porter une robe mission ? Elle permet de couvrir la nudité, protège du climat et nous permet de nous sentir belle et bien dans notre peau, c’est joindre l’utile à l’agréable ! »
Toutefois, même revisitée par des couturiers comme la Kanak Christiane Waneissi, la robe-mission semble « progressivement abandonnée par les jeunes générations, remarque l’historienne Claire Laux. Pour les jeunes femmes kanakes, la robe mission est désormais le symbole d’une double domination : celle de la société patriarcale dans laquelle le corps de la femme appartient à l’homme et celle du christianisme qui a fondé son idéal de pudeur sur la « honte des corps » ».
Etonnant, quand on sait que les équipes féminines de cricket s’affrontent toujours en arborant une robe-mission aux couleurs de chaque équipe. (https://presencekanak.com/2020/11/29/le-cricket-feminin-en-nouvelle-caledonie/)
Texte et photo : Brigitte Postel