C’est au cœur de la « terra quente » (terres chaudes) du haut Douro que se situe le parc archéologique de Foz Côa, le plus grand complexe actuellement connu de figurations rupestres datées du paléolithique supérieur.
Cette région, habitée depuis le paléolithique inférieur, a été inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en 1998.
Sur un territoire de 200 hectares, autour des 17 derniers kilomètres de la rivière Côa et des abords du confluent avec le Douro, plus de 800 rochers portent la trace du génie créateur d’hommes qui marquèrent ces espaces depuis le paléolithique supérieur (- 25 000 ans) jusqu’à nos jours, soit plus de 5000 figures déjà inventoriées. Des roches schisteuses avec de grandes surfaces verticales qui ont servi d’écrin à ces artistes premiers et que le faible couvert végétal laisse facilement approcher.
Révélé par un projet de barrage
Un barrage hydroélectrique prévu et reporté de longue date, déclenche en 1989 une étude d’impact environnemental conduite en collaboration avec le professeur Francisco Sande Lemos, de l’Unité d’Archéologie de l’Université du Minho. Cette étude permet d’identifier six sites d’art rupestre préhistorique, dont quatre sont des peintures alors que les autres révèlent des gravures de la Préhistoire récente et de la Protohistoire. Cette découverte n’empêche pas les travaux du barrage de se poursuivre. Mais l’Institut Portugais du Patrimoine Architectural et Archéologique charge un jeune archéologue, Nelson Rebanda, d’approfondir l’étude. Et c’est en 1992, que les premières figures zoomorphes du type épipaléolithique à Vale de Moinhos et des gravures clairement paléolithiques sont identifiées dans le site de Canada do Inferno. En 1993 et 1994, les niveaux d’étiage étant bas, d’autres ensembles de gravures paléolithiques sont découverts. Ces trouvailles divulguées, les scientifiques et l’opinion publique portugaise, relayés par la presse internationale, crient au scandale et vont n’avoir de cesse de sauver ces découvertes. Construire le barrage veut dire noyer à jamais cette richesse archéologique. La reconnaissance de l’intérêt culturel l’emporte en 1995, date à laquelle les travaux de construction sont définitivement arrêtés. Et, en décembre 1998, les gravures de la vallée du Côa sont reconnues patrimoine culturel de l’humanité par l’UNESCO.
Canada do Inferno
Le vallon de l’enfer. « L’enfer, c’est la chaleur qui règne ici en été : plus de 45°C », plaisante Luis Luis, archéologue au Parque Archeólogico do Vale de Côa (PAVC). Et les hivers froids et secs, qui assèchent la majorité des affluents du Douro dès juillet. C’est dans ce secteur qu’avait débuté le chantier du barrage. Il en reste une petite retenue, située en aval de la confluence du Douro et du Côa, qui a tout de même inondé 80 % des roches gravées. Le débat continue pour savoir s’il faut ou non le détruire ou creuser un tunnel pour faire baisser les eaux. Mais la volonté politique n’y est pas. « Quand le niveau est bas, on remarque que de nombreuses gravures sont maintenant recouvertes par de la vase », déplore Luis.
Parmi les gravures paléolithiques encore visibles, on trouve des grands herbivores sauvages qui vivaient dans la région : aurochs, chevaux, cerfs et bouquetins.
Mais ce qui est typique du Côa, ce sont les superpositions des gravures réalisées par des générations d’artistes. « À Fariseu – un site fermé au public actuellement – nous avons trouvé un panneau avec plus de 90 superpositions : piquétées, rainurées, etc… », poursuit notre guide. Et d’ajouter : « C’est un site majeur car c’est là que, pour la première fois, on a pu dater archéologiquement l’art rupestre paléolithique ».
La roche, dite n° 1 , rassemble ainsi les différentes techniques utilisées par les artistes : incisions fines, piquetage et rainurage. La richesse de cette palette et la nature même du support, des plaques verticales de schistes lisses, livrent des figures d’une étonnante expressivité.
Penascosa
Sur cet autre site que l’on visite uniquement l’après-midi en raison de l’exposition, le premier panneau trouvé est le panneau dit n° 3, « très typique de la phase ancienne paléolithique du Côa, phase gravée solutréenne », précise Luis. La roche est ornée de 12 figures animales superposées, en particulier des aurochs, la tête retournée d’un cheval et un bouquetin de profil dont la tête semble nous regarder de face. « Ce qui est étonnant, c’est de voir que des surfaces ne sont pas gravées et que d’autres sont remplies d’animaux. On s’interroge sur la signification de ce choix. Reste que, comme l’évoquait l’ethnologue et archéologue André Leroi-Gourhan à propos de l’art pariétal, la superposition est une vraie composition. Ici nous avons trois aurochs vers la gauche et trois bouquetins vers la droite, ce n’est sans doute pas par hasard ». La fluidité du trait permet de retranscrire, comme pour l’auroch de la roche n° 3, les détails de la posture et du port de cornes.
Parmi les autres panneaux de ce site, la roche n° 4 semble représenter un accouplement de chevaux. Le contour de la jument est tracé d’une fine rainure tandis que l’étalon au-dessus d’elle est grossièrement piqueté. Sa tête est gravée dans trois positions différentes afin de suggérer le mouvement. On ne connaît très peu d’autres représentations d’animaux avec plusieurs têtes pour cette période, sauf dans les Pyrénées et une en Libye, dans le massif de l’Akakus, gravée dans un abri sous roche, datée d’environ – 10 000 ans. « C’est l’invention de l’animation », estime Luis. « Il y a plus de 10 000 ans, ces hommes avaient représenté la décomposition du mouvement. »
Ribeira de Piscos
Le troisième site que l’on visite longe le Piscos, un petit affluent du Côa. Une balade de 3 ou 4 kilomètres très agréable le long du ruisseau que seuls troublent les plongeons des loutres. C’est là qu’a été remarquée une des rares figures anthropomorphe d’un homme dit « de Piscos », le corps représenté nu avec un sexe éjaculant. Ce sont les relevés de nuit qui ont permis de remarquer cette figure réalisée par incision très fine et difficilement visible en plein jour.
Les gravures surtout filiformes, se trouvent plus dispersées sur les flancs de la colline et sont plus difficilement compréhensibles. Toutefois, c’est peut-être à cet endroit, sur la roche n° 1, que l’on touche un chef d’œuvre de l’art paléolithique. Une scène représente deux chevaux croisant leur tête et se caressant, l’un d’eux étant uniquement suggéré. Cette
attitude est typique de ces animaux et traduit de la part du sculpteur une bonne connaissance des habitudes sociales des chevaux.
Difficile de parler d’abstraction, mais il se dégage une grande force de cette figure très aérienne à l’esthétisme troublant.
À noter aussi sur la roche n° 13, trois aurochs de grande dimension qui ont « sans doute été réalisées pour qu’on les remarque depuis l’autre rive du Côa », note Luis.
« La découverte de l’art du Côa révèle que l’art de nos ancêtres n’était pas limité aux parois des grottes, contrairement à ce qu’on pensait au siècle dernier. En fait, les groupes paléolithiques s’exprimaient majoritairement en plein air et l’art des grottes devait constituer une exception », conclut Luis Luis.
Techniques de représentation des gravures rupestres
L’art paléolithique se présente selon trois modalités techniques : la peinture, la gravure et les bas-reliefs. Ici, dans la vallée du Côa, la peinture n’a pas résisté aux affres du temps, car les supports sont à l’air libre (sauf de rares représentations, dont une d’homme les bras levés datée du néolithique). Et les bas-reliefs sont absents du site. Mais l’utilisation de surfaces rocheuses verticales a permis aux gravures d’arriver jusqu’à nous et de mieux résister aux intempéries que des surfaces planes.
Les techniques utilisées par ces chasseurs-cueilleurs du Paléolithique sont de quatre sortes :
Les incisions fines filiformes sont la forme dominante (55 %). Elles sont obtenues par le passage d’une petite pierre, « probablement un burin de silex ou de quartz », précise Luis, qui laisse un unique trait fin ou des faisceaux de traits parallèles s’il y a eu plusieurs passages. Ces incisions sont très difficiles à voir, sauf par lumière rasante. C’est aussi une des raisons pour laquelle ce site n’a pas été découvert plus tôt. Le silex provient d’endroits situés à plus de 250 km de la vallée et de côtés opposés, ce qui montre les échanges qui existaient entre les groupes paléolithiques. « Peut-être que l’art a à voir avec ces échanges », fait remarquer Luis.
Le piquetage est retrouvé dans 25 % des cas. Le piquetage est réalisé avec un pic à tête triangulaire en quartzite, pierre dure d’origine locale. Certains ont été trouvés sur une occupation du site de Olga Grande, sous des couches gravettiennes dans un campement. Ce site est situé de l’autre côté de la rivière Côa, sur le plateau. Les pics ont été datés par thermoluminescence aux alentours de 28 500 ans, ce qui pour les archéologues pourrait faire remonter la période graphique du Côa à la culture gravettienne. Les gravures ainsi réalisées sont bien visibles. Le trait est large, profond avec une succession d’impacts triangulaires irréguliers.
Moins significative en nombre de représentations que les précédentes, le rainurage est produit avec un outil de pierre déplacé dans un mouvement de va et vient et qui, au final, va tracer une ligne régulière dans la roche en forme de V ou de U en abrasant la roche.
« Ces trois techniques sont souvent associées dans une même figure, explique Luis. L’artiste peut ainsi ébaucher la gravure par incision, l’élargir par piquetage et la régulariser par abrasion », remarque Luis. Mais il existe aussi des figures uniquement par incisions fines. Un choix stylistique ?
Dernière technique rencontrée mais beaucoup moins fréquente, le raclage consiste à user une surface afin de provoquer un contraste chromatique avec la roche brute. On a relevé cette technique, notamment sur le site de Penascosa.
Pratique
Le parc archéologique de Foz Côa est à moins de 3 heures de route de Porto. Les éléments de Côa ne datent pas tous du Paléolithique supérieur. Certains groupes ou panneaux ont été réalisés ultérieurement (Néolithique, âge du fer, jusqu’au début de l’ère moderne). Actuellement, les visiteurs ont accès à trois sites : Canada do Inferno, Penascosa et Ribeira de Piscos. Il faut compter un jour et demi pour visiter les trois sites. Les visites se font le matin ou l’après-midi en fonction de l’exposition solaire. Ces sites sont gardés jour et nuit et ne sont accessibles qu’en s’inscrivant au Parc. Les autres sites ne sont pas ouverts au public pour des raisons d’études et de préservation. Toutes les visites se font accompagnées par un guide du parc qui conduit les visiteurs en 4×4 au plus près des sites. De nombreux sites appartiennent encore à des propriétaires privés. Un programme d’acquisition publique des sites archéologiques est en cours. Par ailleurs, un musée a été ouvert en juillet 2010.
Parque Archeólogico do Vale de Côa
https://www.arte-coa.pt/
Texte et Photos (hors mention particulière) : Brigitte Postel
Bel article, bien traité.