Tokyo, qui était autrefois un petit village de pêcheurs appelé Edo, a commencé à se développer en tant que centre politique et culturel au début du XVIIe siècle, lorsque le shogunat Tokugawa a établi sa capitale dans la ville. C’est à cette époque que les jardins ont commencé à être aménagés en tant que symboles de pouvoir et de beauté.

Tokyo. Vue sur le parc de Shinjuku Gyoen. © Jérémie Josten.
Tokyo. Vue sur le parc de Shinjuku Gyoen. © Jérémie Josten.


La conception du jardin japonais puise ses racines dans le shintoïsme et le bouddhisme : le jardin doit être une représentation du paradis sur terre et permettre à l’Homme de se relier à la nature. La beauté réelle apparaît dans l’asymétrie, l’imperfection, la simplicité et l’éphémère. Et dérive du concept de wabisabi, si cher aux maîtres de thé. L’équilibre entre les éléments est essentiel, créant une harmonie entre le vide et le plein, le clair et l’obscur.

Tokyo. Jardin de Rikugien. Cette lanterne massive en pierre de lave de Kasuga est sensée éclairer notre chemin.
Tokyo. Jardin de Rikugien. Cette lanterne massive en pierre de lave de Kasuga est sensée éclairer notre chemin.

Un jardin japonais ne saurait se concevoir sans la présence de l’eau, de la pierre, de ponts et de lanternes. Parfois de carpes, considérées comme des « fleurs vivantes » illuminant les étangs. Les lacs et les ruisseaux symbolisent la tranquillité et la continuité. Les rochers et collines représentent des montagnes et des paysages naturels, créant des points de vue variés. Les plantes sont soigneusement choisies et orchestrées pour refléter la beauté de chaque saison. Tandis que les chemins sinueux guident le visiteur à travers le jardin, favorisant une expérience contemplative.

Tokyo. Jardin de Koshikawa Korakuen. On connaît l'amour des Japonnais pour les pierres et les rochers bruts qui les agrémentent et renvoient au shintoïsme.
Tokyo. Jardin de Koshikawa Korakuen. On connaît l’amour des Japonais pour les pierres et les rochers bruts qui les agrémentent et renvoient au shintoïsme.

Dérivés du jardin de thé accolé à la maison de thé, les jardins sont une ode à la nature recréée et modelée par la main de l’homme. Leur organisation est faite de symboles, d’évocations légendaires, de perspectives sans cesse mouvantes et de dévoilements que le promeneur découvre tout au long du parcours et des saisons. Rien n’est figé. Même la pierre n’est pas considérée comme un matériau inanimé. Selon la religion shintō , elle peut être le réceptacle de certaines âmes, de kamis, comme l’eau, le sol ou les montagnes le sont. La pensée shintō repose sur une vision panthéiste du monde que l’on retrouve partout au Japon. Elle a sensibilisé les Japonais à la nature, à sa préservation et surtout à son respect. Les arbres les plus tortueux, comme les pins noirs du Japon, souvent taillés en nuage, sont soutenus par des étais de bois dès qu’il penchent un peu trop. Ceux que l’on pourrait croire morts sont entretenus tant que la vie se manifeste, ne serait-ce qu’à travers une pousse minuscule.

Tokyo. Jardi de Koishikawa Korakuen. Cette maison de saké Kuhachi-ya est la réplique d'une maison construite dans la campagne pendant la période Edo.
Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. Cette maison de saké Kuhachi-ya est la réplique d’une maison construite dans la campagne pendant la période Edo.

Que ce soit pour une promenade bucolique ou une contemplation approfondie, ces jardins incarnent une tradition millénaire qui continue d’évoluer tout en préservant les valeurs fondamentales de l’esthétique et de la philosophie japonaises.

Shinjuku Gyoen : un des trois jardins nationaux du Japon

Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Vue de puis le pavillon taïwanais.
Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Vue depuis le pavillon taïwanais.

À dix minutes de l’effervescent quartier de Shinjuku, le jardin national Shinjuku Gyoen est considéré comme l’un des plus grands jardins de Tokyo avec ceux du Palais Impérial. Ce lieu servait de résidence à Noburani Naitō (1545-1612), samouraï de la période Sengoku (1467-1600) et du début de l’époque d’Edo (1600-1868), au service du clan Tokugawa.
Il s’étend sur plus de 58 ha et est devenu jardin botanique puis jardin impérial à la fin du XIXe siècle.

Un héritage français

Tokyo. Le jardin Shinjuku Gyoen invite à la sérénité et à la méditation.
Tokyo. Le jardin Shinjuku Gyoen invite à la sérénité et à la méditation.

Ce jardin a été le premier projet franco-japonais, conçu et réalisé par un horticulteur japonais, Hayato Fukuba (1856-1921), et un paysagiste français, Henri Martinet (1867-1938), intendant des jardins de Versailles. Shinjuku Gyoen développe aussi l’art des perspectives tel que préconisé par Édouard André (1840-1911), paysagiste, urbaniste et botaniste représentant de l’Ecole française du paysage, mettant en valeur la perspective du jardin avec des cadrages successifs. On retrouve ainsi des caractéristiques à la mode dans les jardins du Second Empire, un mix de jardins réguliers – allées de platanes, roseraies – et paysagers avec de vastes pelouses et des allées de circulation différenciées selon le but recherché.

Tokyo. Jardin Shinjuku Gyoen. Les azalées taillées en boule offrent, hors saison, leurs vertes rondeurs aux promeneurs.
Tokyo. Jardin Shinjuku Gyoen. Les azalées taillées en boule offrent, hors saison, leurs vertes rondeurs aux promeneurs.

Les lacs sont encadrés par des allées plantées de pins noirs (Pinus thunbergii), de pins sylvestres (Pinus sylvestris), d’azalées taillées en boules. Les chemins d’accès et allées de promenade sont distribués en voies rectilignes, curvilignes ou paysagères. Autant de cheminements qui permettent d’admirer le parc sous des angles différents.

Un jardin promenade ou Kaiyushiki

Tokyo. Jardin Shinjuku Gyoen. Le pin, à la fois intemporel et symbole de longévité, et le pont sont des incontournables de tout jardin japonais.
Tokyo. Jardin Shinjuku Gyoen. Le pin, à la fois intemporel et symbole de longévité, et le pont sont des incontournables de tout jardin japonais.

Ouvert au public en 1949, après une restauration complète suite aux bombardements de la deuxième guerre mondiale, Shinjuku Gyoen est aujourd’hui l’un des jardins les plus populaires du Japon. Son originalité repose sur ses sections à thème. Il comporte notamment un jardin d’inspiration française, un jardin paysager de style anglais et un jardin japonais traditionnel. Avec plus de 1 500 cerisiers (sakura), sur les 20 000 arbres et arbustes qui agrémentent le parc, c’est l’un des meilleurs endroits au Japon pour admirer les cerisiers en fleur au printemps. La saison de hanami est assez courte, mais avec 68 variétés d’arbres, la floraison s’étire de février à fin avril.

Tokyo. Hanami au jardin Shinjuku Gyoen. Daderot/Commons.
Tokyo. Hanami au jardin Shinjuku Gyoen. © Daderot/Commons.

Deux fois par an, quelque 500 rosiers offrent une floraison parfumée dans une roseraie créé à la fin du XIXe siècle par le paysagiste Henri Martinet. Les autres saisons ne sont pas en reste, avec les azalées au printemps, hortensias en été, les chrysanthèmes et les érables aux couleurs dorées en automne.

Les lanternes, métaphores de l’Univers

Tokto. Jardin Shinjuku Gyoen. Les lanternes sont un symbole de connaissance sur notre chemin. D'origine bouddhiste, la tōrō représente les cinq éléments de la cosmologie bouddhiste : le socle qui touche le sol représente la terre chi, la deuxième partie représente l’eau sui, au-dessus, on trouve le foyer – ou la hampe sur laquelle est posé le foyer – et qui symbolise évidemment le feu ka, puis c’est le vent fū et enfin l’espace kū.
Tokyo. Jardin Shinjuku Gyoen. Les lanternes (tōrō ) sont un symbole de connaissance qui illumine l’esprit sur notre chemin. Elles symbolisent l’univers.

D’origine bouddhiste, la tōrō représente les cinq éléments de la cosmologie bouddhiste. On les retrouve également dans les temples shinto. De bas en haut, le socle qui touche le sol représente la terre (chi), la deuxième partie représente l’eau (sui), au-dessus, on trouve le foyer qui symbolise le feu (ka), puis c’est le vent () et enfin l’espace (). Ces cinq éléments qui constituent l’univers sont réunis dans la lanterne.

Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Le pavillon taïwanais Kyû Goryôtei, construit en 1927 pour célébrer les noces de l’empereur Shôwa, un des rares exemples de construction d’inspiration chinoise au Japon. Edifié sur le bord d’un étang, il offre une belle vue sur le jardin japonais.
Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Le pavillon taïwanais Kyû Goryôtei, construit en 1927 pour célébrer les noces de l’empereur Shôwa, est un des rares exemples de construction d’inspiration chinoise au Japon. Edifié sur le bord d’un étang, il offre une belle vue sur le jardin japonais.
Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Le salon de thé traditionnel Rakuu-Tei sert de délicieux mochis.
Tokyo. Parc Shinjuku Gyoen. Le salon de thé traditionnel Rakuu-Tei sert de délicieux mochis.

Il faut environ deux heures pour faire le tour de ce parc et, en dehors de la période des sakura, le jardin est en semaine très paisible et invite à la contemplation. Le weekend, de nombreuses familles viennent piqueniquer et se détendre sur les pelouses autorisées.

Jardin de Rikugien, élégant et poétique

Tokyo. Jardin de Rikugien. L'étang est bordé de pins, arbre toujours vert reconnu comme symbole de longévité et d'éternité.
Tokyo. Jardin de Rikugien. L’étang est bordé de pins, arbre toujours vert reconnu comme symbole de longévité et d’éternité.


Inspiré de la poésie traditionnelle Waka, Rikugien est un vaste jardin paysager de style Daimyo (seigneur féodal) situé entre les gares de Sugamo et de Komagome au Nord de Tokyo. Il a été fondé en 1702 par Yanagisawa Yashiyasu (1858-1714), confident du cinquième shogun Tokugawa Tsunayoshi, entre 1695 et 1702.

Tokyo. Jardin de Rikugyen. Le pont en bois Chidori-Bashi enjambe un bras de l'étang, donnant le sentiment de traverser une rivière.
Tokyo. Jardin de Rikugien. Le pont en bois Chidori-Bashi enjambe un bras de l’étang, donnant le sentiment de traverser une rivière.

Composé de 88 vues, reflets de poésies classiques japonaises et de la littérature chinoise, Rikugien est considéré comme l’un des plus importants jardins de Daymio, avec son étang, ses îlots et ses collines artificielles. Il fut restauré par l’industriel Iwasaki Yataro (1835-1885), fondateur de l’entreprise Mistubishi, et devint plus tard sa résidence secondaire. Il fut donné à la ville de Tokyo en 1938. À l’origine, un pilier en pierre marquait chacun des 88 sites admirables du jardin. Il n’en reste que 32 aujourd’hui.

Tokyo. Jardin de Rikugyen. Vue sur l'île Horai-Jima, une île légendaire où vivrait un sorcier immortel.
Tokyo. Jardin de Rikugien. Vue sur l’île Horai-Jima, une île légendaire où vivrait un sorcier immortel.
Tokyo. Jardin de RikuGien. Ce pavillon de thé en bois d'azalée fut construit à l'époque Meiji et a résisté aux guerres.
Tokyo. Jardin de Rikugien. Ce pavillon de thé en bois d’azalée fut construit à l’époque Meiji et a résisté aux guerres.

On longe l’étang aux reflets changeant au gré des caprices du ciel en profitant de la douceur du paysage. Le plan d’eau est entouré de sentiers menant à différents coins du jardin et à deux maisons de thé et à un pavillon ouvert construit à l’époque Meiji. Il est agrémenté en son milieu de deux collines artificielles – Imo-no-Yama et Se-no-yama –. Elles font référence à l’homme (Se) et à la femme (Imo) dans une expression ancienne. Cet ensemble symbolise l’espoir de fertilité et de prospérité familiale.

Tokyo. Jardin de Rikugyen. C'est un lieu prisé pour admirer les érables en automne. Komagome Guilhem-Vellut
Tokyo. Jardin de Rikugien. C’est un lieu prisé pour admirer les érables en automne. © Komagome Guilhem-Vellut.


Rikugien, comme d’autres jardins, attire de très nombreux visiteurs pendant la saison des cerisiers en fleurs et surtout celle des érables rouges, dont le feuillage s’embrase l’automne venue. Des illuminations nocturnes sont organisées en novembre au pic de la feuillaison des érables (momiji).

Jardin de Koishikawa Korakuen, romantique et bucolique

Tokyo. Jardi de Koishikawa Korakuen. Posée devant l'étang, la porte Karamon, de style chinois, était autrefois l'entrée du jardin. Elle a été restaurée en 2020.
Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. Posée devant l’étang, la porte Karamon, de style chinois, était autrefois l’entrée du jardin. Elle a été restaurée en 2020.

Créé au début de l’époque Edo par le fondateur de la célèbre famille Tokugawa à Mito, le jardin de Koishikawa Korakuen est l’un des plus anciens et des plus célèbres jardins de Tokyo. C’est un exemple exceptionnel de jardin japonais, combinant histoire, culture et esthétique. Situé dans le quartier de Bunkyo, il est achevé sous le règne du chef de clan Tokugawa Mitsukuni. Le nom « Korakuen » signifie littéralement « Jardin de la réjouissance postérieure », ce qui fait référence à l’idée de profiter des plaisirs de la vie après avoir accompli ses devoirs. 

Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen . L'étang situé à l'Est est couvert de nénuphars et bordé de pins aux formes tortueuses, soutenus par des étais.
Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen . L’étang situé à l’Est est couvert de nénuphars et bordé de pins aux formes tortueuses, soutenus par des étais.


De style Daimyo, ce site d’exception est typique des jardins de promenade. L’étang central agrémenté de rochers est bordé de collines artificielles. On y vient par la gare d’Idabashi et c’est sous une fine pluie que l’on découvre ce jardin en empruntant des allées qui nous conduisent à des paysages de campagne : rizières, parterres d’iris, champs de pruniers… Mitsukuni aimait tant les fleurs de pruniers qu’il en a fait planter une trentaine d’espèces différentes qui font l’admiration des visiteurs dès leur floraison en février.

Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. La rizière est protégée  de l'appétit des oiseaux par des filets et des épouvantails.
Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. La rizière est protégée de l’appétit des oiseaux par des filets et des épouvantails.

On peut s’étonner de voir une rizière en ces lieux, mais Mitsukuni voulait faire comprendre à l’épouse de son fils le dur labeur des paysans. Aujourd’hui, ce travail est confié aux écoliers du quartier Bunkiyo-ku qui repiquent les plants en mai et récoltent le riz en octobre pour préserver la tradition.

Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. les chutes d'eau sont conçues pour s'intégrer de manière naturelle dans le paysage.
Tokyo. Jardin de Koishikawa Korakuen. Les chutes d’eau sont conçues pour s’intégrer de manière naturelle dans le paysage.

Le jardin de Koishikawa Korakuen illustre les principes traditionnels de la conception des jardins japonais, où chaque élément est soigneusement choisi pour créer un équilibre harmonieux avec la nature. L’esthétique wabi-sabi est également présente, avec une appréciation de la beauté des imperfections et de l’éphémère. Les pierres qui entourent l’étang ou tapissent les allées apportent une dimension de profondeur et de solidité au paysage. Elles ne sont pas simplement décoratives ; elles symbolisent la permanence et la force. Contrairement aux plantes, qui changent au fil des saisons, les pierres restent inchangées. Elles incarnent la stabilité et la durabilité, rappelant aux visiteurs la continuité de la nature et du temps. Lorsqu’elles sont réfléchies dans l’eau, elles créent des illusions de profondeur et des perspectives intéressantes en orientant le regard. Ce qui ajoute une dimension visuelle dynamique, invitant à la contemplation et à la découverte des différentes facettes du jardin.

Tokyo. Un vieux pin soutenu par de nombreux étais dans le jardin de Koishikawa Korakuen.
Tokyo. Un vieux pin soutenu par de nombreux étais dans le jardin de Koishikawa Korakuen.

Les pins sont souvent taillés en nuage, ou niwaki. Cette taille permet de dégager l’architecture du tronc et des branches principales. Elle consiste à former des plateaux en concentrant la végétation à certains endroits, notamment à l’extrémité des branches. Les pins sont appréciés pour leur grâce et symbolisent également des valeurs profondes de résilience, de longévité et d’harmonie avec la nature. Ils ajoutent à la beauté et à l’atmosphère méditative du jardin.

Notons que ce jardin a été désigné Site historique de première catégorie et Site d’exception dans le cadre de la loi pour la préservation du patrimoine culturel. Ce double classement est accordé seulement à quelques monuments majeurs comme le Pavillon d’or à Kyoto.

Texte et Photos : Brigitte Postel

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