
Tokyo, qui était autrefois un petit village de pêcheurs appelé Edo, a commencé à se développer en tant que centre politique et culturel au début du XVIIe siècle, lorsque le shogunat Tokugawa a établi sa capitale dans la ville. C’est à cette époque que les jardins ont commencé à être aménagés en tant que symboles de pouvoir et de beauté.
La conception du jardin japonais puise ses racines dans le shintoïsme et le bouddhisme : le jardin doit être une représentation du paradis sur terre et permettre à l’Homme de se relier à la nature. La beauté réelle apparaît dans l’asymétrie, l’imperfection, la simplicité et l’éphémère. Et dérive du concept de wabi–sabi, si cher aux maîtres de thé. L’équilibre entre les éléments est essentiel, créant une harmonie entre le vide et le plein, le clair et l’obscur.

Un jardin japonais ne saurait se concevoir sans la présence de l’eau, de la pierre, de ponts et de lanternes. Parfois de carpes, considérées comme des « fleurs vivantes » illuminant les étangs. Les lacs et les ruisseaux symbolisent la tranquillité et la continuité. Les rochers et collines représentent des montagnes et des paysages naturels, créant des points de vue variés. Les plantes sont soigneusement choisies et orchestrées pour refléter la beauté de chaque saison. Tandis que les chemins sinueux guident le visiteur à travers le jardin, favorisant une expérience contemplative.

Dérivés du jardin de thé accolé à la maison de thé, les jardins sont une ode à la nature recréée et modelée par la main de l’homme. Leur organisation est faite de symboles, d’évocations légendaires, de perspectives sans cesse mouvantes et de dévoilements que le promeneur découvre tout au long du parcours et des saisons. Rien n’est figé. Même la pierre n’est pas considérée comme un matériau inanimé. Selon la religion shintō , elle peut être le réceptacle de certaines âmes, de kamis, comme l’eau, le sol ou les montagnes le sont. La pensée shintō repose sur une vision panthéiste du monde que l’on retrouve partout au Japon. Elle a sensibilisé les Japonais à la nature, à sa préservation et surtout à son respect. Les arbres les plus tortueux, comme les pins noirs du Japon, souvent taillés en nuage, sont soutenus par des étais de bois dès qu’il penchent un peu trop. Ceux que l’on pourrait croire morts sont entretenus tant que la vie se manifeste, ne serait-ce qu’à travers une pousse minuscule.

Que ce soit pour une promenade bucolique ou une contemplation approfondie, ces jardins incarnent une tradition millénaire qui continue d’évoluer tout en préservant les valeurs fondamentales de l’esthétique et de la philosophie japonaises.
Shinjuku Gyoen : un des trois jardins nationaux du Japon
À dix minutes de l’effervescent quartier de Shinjuku, le jardin national Shinjuku Gyoen est considéré comme l’un des plus grands jardins de Tokyo avec ceux du Palais Impérial. Ce lieu servait de résidence à Noburani Naitō (1545-1612), samouraï de la période Sengoku (1467-1600) et du début de l’époque d’Edo (1600-1868), au service du clan Tokugawa.
Il s’étend sur plus de 58 ha et est devenu jardin botanique puis jardin impérial à la fin du XIXe siècle.
Un héritage français
Ce jardin a été le premier projet franco-japonais, conçu et réalisé par un horticulteur japonais, Hayato Fukuba (1856-1921), et un paysagiste français, Henri Martinet (1867-1938), intendant des jardins de Versailles. Shinjuku Gyoen développe aussi l’art des perspectives tel que préconisé par Édouard André (1840-1911), paysagiste, urbaniste et botaniste représentant de l’Ecole française du paysage, mettant en valeur la perspective du jardin avec des cadrages successifs. On retrouve ainsi des caractéristiques à la mode dans les jardins du Second Empire, un mix de jardins réguliers – allées de platanes, roseraies – et paysagers avec de vastes pelouses et des allées de circulation différenciées selon le but recherché.

Les lacs sont encadrés par des allées plantées de pins noirs (Pinus thunbergii), de pins sylvestres (Pinus sylvestris), d’azalées taillées en boules. Les chemins d’accès et allées de promenade sont distribués en voies rectilignes, curvilignes ou paysagères. Autant de cheminements qui permettent d’admirer le parc sous des angles différents.
Un jardin promenade ou Kaiyushiki

Ouvert au public en 1949, après une restauration complète suite aux bombardements de la deuxième guerre mondiale, Shinjuku Gyoen est aujourd’hui l’un des jardins les plus populaires du Japon. Son originalité repose sur ses sections à thème. Il comporte notamment un jardin d’inspiration française, un jardin paysager de style anglais et un jardin japonais traditionnel. Avec plus de 1 500 cerisiers (sakura), sur les 20 000 arbres et arbustes qui agrémentent le parc, c’est l’un des meilleurs endroits au Japon pour admirer les cerisiers en fleur au printemps. La saison de hanami est assez courte, mais avec 68 variétés d’arbres, la floraison s’étire de février à fin avril.
Deux fois par an, quelque 500 rosiers offrent une floraison parfumée dans une roseraie créé à la fin du XIXe siècle par le paysagiste Henri Martinet. Les autres saisons ne sont pas en reste, avec les azalées au printemps, hortensias en été, les chrysanthèmes et les érables aux couleurs dorées en automne.
Les lanternes, métaphores de l’Univers

D’origine bouddhiste, la tōrō représente les cinq éléments de la cosmologie bouddhiste. On les retrouve également dans les temples shinto. De bas en haut, le socle qui touche le sol représente la terre (chi), la deuxième partie représente l’eau (sui), au-dessus, on trouve le foyer qui symbolise le feu (ka), puis c’est le vent (fū) et enfin l’espace (kū). Ces cinq éléments qui constituent l’univers sont réunis dans la lanterne.

Il faut environ deux heures pour faire le tour de ce parc et, en dehors de la période des sakura, le jardin est en semaine très paisible et invite à la contemplation. Le weekend, de nombreuses familles viennent piqueniquer et se détendre sur les pelouses autorisées.
Jardin de Rikugien, élégant et poétique

Inspiré de la poésie traditionnelle Waka, Rikugien est un vaste jardin paysager de style Daimyo (seigneur féodal) situé entre les gares de Sugamo et de Komagome au Nord de Tokyo. Il a été fondé en 1702 par Yanagisawa Yashiyasu (1858-1714), confident du cinquième shogun Tokugawa Tsunayoshi, entre 1695 et 1702.

Composé de 88 vues, reflets de poésies classiques japonaises et de la littérature chinoise, Rikugien est considéré comme l’un des plus importants jardins de Daymio, avec son étang, ses îlots et ses collines artificielles. Il fut restauré par l’industriel Iwasaki Yataro (1835-1885), fondateur de l’entreprise Mistubishi, et devint plus tard sa résidence secondaire. Il fut donné à la ville de Tokyo en 1938. À l’origine, un pilier en pierre marquait chacun des 88 sites admirables du jardin. Il n’en reste que 32 aujourd’hui.


On longe l’étang aux reflets changeant au gré des caprices du ciel en profitant de la douceur du paysage. Le plan d’eau est entouré de sentiers menant à différents coins du jardin et à deux maisons de thé et à un pavillon ouvert construit à l’époque Meiji. Il est agrémenté en son milieu de deux collines artificielles – Imo-no-Yama et Se-no-yama –. Elles font référence à l’homme (Se) et à la femme (Imo) dans une expression ancienne. Cet ensemble symbolise l’espoir de fertilité et de prospérité familiale.

Rikugien, comme d’autres jardins, attire de très nombreux visiteurs pendant la saison des cerisiers en fleurs et surtout celle des érables rouges, dont le feuillage s’embrase l’automne venue. Des illuminations nocturnes sont organisées en novembre au pic de la feuillaison des érables (momiji).
Jardin de Koishikawa Korakuen, romantique et bucolique

Créé au début de l’époque Edo par le fondateur de la célèbre famille Tokugawa à Mito, le jardin de Koishikawa Korakuen est l’un des plus anciens et des plus célèbres jardins de Tokyo. C’est un exemple exceptionnel de jardin japonais, combinant histoire, culture et esthétique. Situé dans le quartier de Bunkyo, il est achevé sous le règne du chef de clan Tokugawa Mitsukuni. Le nom « Korakuen » signifie littéralement « Jardin de la réjouissance postérieure », ce qui fait référence à l’idée de profiter des plaisirs de la vie après avoir accompli ses devoirs.

De style Daimyo, ce site d’exception est typique des jardins de promenade. L’étang central agrémenté de rochers est bordé de collines artificielles. On y vient par la gare d’Idabashi et c’est sous une fine pluie que l’on découvre ce jardin en empruntant des allées qui nous conduisent à des paysages de campagne : rizières, parterres d’iris, champs de pruniers… Mitsukuni aimait tant les fleurs de pruniers qu’il en a fait planter une trentaine d’espèces différentes qui font l’admiration des visiteurs dès leur floraison en février.

On peut s’étonner de voir une rizière en ces lieux, mais Mitsukuni voulait faire comprendre à l’épouse de son fils le dur labeur des paysans. Aujourd’hui, ce travail est confié aux écoliers du quartier Bunkiyo-ku qui repiquent les plants en mai et récoltent le riz en octobre pour préserver la tradition.

Le jardin de Koishikawa Korakuen illustre les principes traditionnels de la conception des jardins japonais, où chaque élément est soigneusement choisi pour créer un équilibre harmonieux avec la nature. L’esthétique wabi-sabi est également présente, avec une appréciation de la beauté des imperfections et de l’éphémère. Les pierres qui entourent l’étang ou tapissent les allées apportent une dimension de profondeur et de solidité au paysage. Elles ne sont pas simplement décoratives ; elles symbolisent la permanence et la force. Contrairement aux plantes, qui changent au fil des saisons, les pierres restent inchangées. Elles incarnent la stabilité et la durabilité, rappelant aux visiteurs la continuité de la nature et du temps. Lorsqu’elles sont réfléchies dans l’eau, elles créent des illusions de profondeur et des perspectives intéressantes en orientant le regard. Ce qui ajoute une dimension visuelle dynamique, invitant à la contemplation et à la découverte des différentes facettes du jardin.
Les pins sont souvent taillés en nuage, ou niwaki. Cette taille permet de dégager l’architecture du tronc et des branches principales. Elle consiste à former des plateaux en concentrant la végétation à certains endroits, notamment à l’extrémité des branches. Les pins sont appréciés pour leur grâce et symbolisent également des valeurs profondes de résilience, de longévité et d’harmonie avec la nature. Ils ajoutent à la beauté et à l’atmosphère méditative du jardin.
Notons que ce jardin a été désigné Site historique de première catégorie et Site d’exception dans le cadre de la loi pour la préservation du patrimoine culturel. Ce double classement est accordé seulement à quelques monuments majeurs comme le Pavillon d’or à Kyoto.
Texte et Photos : Brigitte Postel
https://www.japan.travel/fr/fr/
Magnifique reportage!!!
Comprendre la symbolique permet d’apprécier encore mieux la beauté de ces jardins!
Merci Brigitte!